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André Carruzzo (Dreas)
Identificateur : Dreas

Inscrit: 1-2005
Envoyé jeudi 31 août 2006 - 13h45:   

DES MEURS ET CONDITIONS DE PANURGE

Panurge estoit de stature moyenne, ny trop grand ny trop petit, et avait le nez ung peu aquilin, faict à manche de rasouer. Et pour lors estoit de l'aage de trente et cinq ans ou environ, fin à dorer comme une dague de plomb, bien galand homme de sa personne, sinon qu'il estoit quelque peu paillard, et subject de nature à une maladie qu'on appelloit en ce temps-là : « Faulte d'argent, c'est douleur non pareille » ; - toutesfois, il avoit soixante et troys manières d'en trouver tousjours à son besoing, dont la plus honnorable et la plus commune estoit par façon de larrecin furtivement faict, - malfaisant, bateur de pavez, ribleur, s'il y en avoit en Paris: et tousjours machinoit quelque chose contre les sergeans et contre le guet.
A l'une foys, il assembloit troys ou quatre de bons rustres, et les faisoit boire comme Templiers sur le soir ; et après les menoit au dessoubz de Saincte Geneviefve, ou auprès du Colliège de Navarre, et, à l'heure que le guet montoit par là (ce que il congnoissoit en mettant son espée sur le pavé, et l'oreille auprès: et lors qu'il ouyoit son espée bransler, c'estoit signe infallible que le guet estoit près), à l'heure doncques, luy et ses compaignons prenoient ung tombereau, et luy bailloient le bransle, le ruant de grand force contre l'avallée, et ainsi mettoient tout le pouvre guet par terre, comme porcs : et puis s'en fuyoient de l'aultre cousté, car, en moins de deux jours, il sçeut toutes les rues, ruelles et traverses de Paris comme son "Deus det".
A l'aultre fois, il faisoit, en quelque belle place par où ledict guet debvoit passer, une trainée de pouldre de canon, et, à l'heure que le guet passoit, il mettait le feu dedans, et puis prenoit son passetemps à veoir la bonne grâce qu'ilz avoient en s'enfuyant, pensans que le feu Sainct Antoine les tint aux jambes.
Et, au regard des pouvres maistres ès ars et théologiens, il les persécutoit sur tous aultres. Quand il rencontroit quelqu'ung d'entre eulx par la rue, jamais ne failloit de leur faire quelque mal, maintenant leurs mettant ung estronc dedans leurs chaperons à bourlet, maintenant leur atachant de petites quehues de regnard, ou des oreilles de lièvres par derrière, ou quelque aultre mal.
Et ung jour que Ion avoit assigné à tous les théologiens de se trouver en Sorbone pour examiner les articles de la foy, il fist une tartre bourbonnoyse, composée de force de hailz, de galbanum, de assa fetida, de castoreum, d'es troncs tous chaux, et la destrampit de sanie de bosses chancreuses, et, de fort bon matin, engressa et oingnit théologalement tout le treilliz de Sorbonne, en sorte que le diable n'y eust pas duré. Et tous ces bonnes gens rendoient là leurs gorges devant tout le monde, comme s'ilz eussent escorché le regnard, et en mourut dix ou douze de peste, mais il ne s'en soucioit pas.
Et en son saye y avoit plus de vingt et six petites bougettes et fasques, tousjours pleines: l'une d'ung petit deaul de plomb, et d'ung petit cousteau, affilé comme une aguille de peletier, dont il couppoit les bourses; l'aultre de aigrest, qu'il gettoit aux yeulx de ceulx qu'il trouvoit; l'aultre, de glaterons empennés de petites plumes de oysons ou de chappons, qu'il gettoit sur les robbes et bonnetz des bonnes gens, et aulcunesfois leur en faisoit de belles cornes, qu'ilz portoient par toute la ville, aulcunesfois toute leur vie.
Aux femmes aussi, par dessus leurs chapperons, au derrière, aulcunesfois en mettoit, faictz en forme d'ung membre d'homme.
En l'aultre, ung tas de cornetz tous plains de pulses et de poux, qu'il empruntoit des guenaulx de Sainct Innocent, et les gettoit, à tout belles petites cannes ou plumes dont on escript, sur les colletz des plus succrées damoiselles qu'il trouvoit, et mesmement en l'esglise : car jamais ne se mettoit au cueur au hault, mais tousjours demouroit en la nef entre les femmes, tant à la messe, à vespres, comme au sermon.
En l'aultre force provision de haims et claveaux, dont il acouploit souvent les hommes et les femmes, en compaigniez où ilz estoient serrez: et mesmement celles qui portoient robbes de tafetas armoisy, et, à l'heure qu'elles se vouloient départir, elles rompoient toutes leurs robbes.
En l'aultre, ung fouzil garny d'esmorche, d'allumettes, de pierre à feu, et tout aultre appareil à ce requis ; en l'autre, deux ou trois mirouers ardans, dont il faisoit enrager aucunesfois les hommes et les femmes, et leur faisoit perdre contenance à l'église. Car il disoit qu'il n'y avoit que ung antistrophe entre "femme folle à la messe" et "femme molle à la fesse". En l'autre, avoit provision de fil et d'aguilles, dont il faisoit mille petites dyableries.
Une fois, à l'yssue du Palais, à la Grant Salle, que ung Cordelier disoit la messe de Messieurs, il luy ayda à soy habiller et revestir : mais en l'acoustrant il luy cousit l'aubbe avecques sa robbe et chemise, et puis se retira quant Messeigneurs de la Court se vindrent asseoir pour ouyr icelle messe: mais quant ce fust à l'Ile Missa est, que le povre frater se voulut devestir son aube, il emporta ensemble et habit et chemise, qui estoient bien cousuz ensemble, et se rebrassa jusques aux espaulles, monstrant son calibistris à tout le monde, qui n'estoit pas petit, sans doubte. Et le frater tousjours tiroit. Mais tant plus se descouvroit-il, jusques à ce que ung des assistans à la Court dist : « Et quoy, ce beau père nous veult-il icy faire l'offrande et baiser son cul ?
Le feu Sainct Anthoine le bayse !» Et dès lors fut ordonné que les povres beau lx pères ne se despouilleroient plus devant le monde, mais en leur sacristie, mesmement quant il y auroit des femmes: car ce leur seroit occasion de pécher du péché d'envie.
Et le monde demandoit pourquoy est ce que ces "fratres" avoient la couille si longue ? Mais ledit Panurge solut tresbien le probleusme, disant: « Ce que faict les oreilles des asnes si grandes, ce n'est sinon par ce que leurs mères ne leur mettoient point de béguin en la teste : comme dit "De Alliaco" en ses "Suppositions". A pareille raison, ce qui faict la couille des povres beaulx pères tant Sainct Anthoine large, c'est qu'ilz ne portent point de chausses foncées, et leur povre membre s'estend à sa liberté à bride avallée, et leur va ainsi ribalant sur les genoulx, comme font les patenostres aux femmes. Mais la cause pourquoy ils l'avoient gros à l'équipollent, c'estoit que en ce triballement les humeurs du corps descendent audit membre: car, selon les légistes, "agitation et motion continuelle est cause de attraction."
Item, il avoit une autre poche toute pleine d'alun de plume, dont il gettoit dedans le doz des femmes qu'il veoit les plus acrestées, et les faisoit despouiller devant tout le monde, les autres dancer comme jau sur brèze, ou bille sur tabour, les autres courir les rues: et luy après couroit, et, à celles qui se despouilloient, il mettoit sa cappe sur le doz, comme homme courtoys et gracieulx.
Item, en ung autre, il avoit une petite guedoufle pleine de vieille huylle, et, quant il trouvoit ou femme ou homme qui eust quelque belle robbe neufve, il leur engressoit et gastoit tous les plus beaulx endroictz, soubz le semblant de les toucher et dire: « Voicy de bon drap, voicy bon satin, bon tafetas ! Madame, Dieu vous doint ce que vostre noble cueur désire ! Vos avez robbe neufve, nouvel amy: Dieu vous y maintienne! » Et, ce disant, leur mettoit la main sur le collet, et ensemble la malle tache y demouroit perpétuellement, que le dyable n'eust pas ostée, puis à la fin leur disoit : « Madame. donnez-vous garde de tumber : car il y a icy ung grant trou devant vous. »
En ung autre, il avoit tout plain de euphorbe pulvérizé bien subtillement. et là dedans mettoit ung mousche-nez beau et bien ouvré. qu'il avoit desrobé à la belle lingère des galleries de la Saincte Chappelle, en luy os tant ung poul de dessus son sain, lequel toutesfois il y avoit mis. Et, quand il se trouvoit en compaignie de quelques bonnes dames, il leur mettoit sus de propos de lingerie, et leur mettoit la main au sain, demandant: « Et cest ouvraige, est-il de Flandres, ou de Haynault ? » Et puis, tiroit son mousche-nez, disant : « Tenez, tenez, voy en cy de l'ouvrage; elle est de Fonterabie », et le secouoit bien fort à leurs nez, et les faisoit esternuer quatre heures sans repos. Et ce pendant il pétoit comme ung roussin, et les femmes se ryoient, luy disant: «Comment, vous pétez, Panurge ? - Non fois, disoit il, Madame: mais je accorde au contrepoint de la musicque que sonnez du nez. »
En l'aultre, ung daviet, ung pellican, ung crochet, et quelques aultres ferremens, dont il n'y avoit porte ny coffre qu'il ne crochetast.
En l'aultre, tout plain de petitz goubeletz, dont il jouoit fort artificiellement: car il avoit les doigs faictz à la main comme Minerve, ou Arachné. Et avoit aultresfois cryé le thériacle. Et quand il changeoit ung teston, ou quelque aultre pièce, le changeur eust esté plus fin que Maistre Mousche, si Panurge n'eust faict évanouyr à chascune fois cinq ou six grans blancs, visiblement, appertement, manifestement, sans faire lésion ne blesseure aulcune, dont le changeur n'en eust senty que le vent.

Rabelais, PANTAGRUEL, chap.XIII
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Entre Rabelais et nous, il y a malheureusement l’Académie, Boileau et quelques autres
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé lundi 04 septembre 2006 - 21h17:   

Réjouissante relation des hauts faits d'un célèbre et sympathique sauvageon!
Sa truculence, c'est vrai, a subi l'intolérance de l'académiquement correct...
Tiens! me vient une question: Sarkozy a-t-il lu Rabelais? Je ne sais pourquoi j'en doute...
André Carruzzo (Dreas)
Identificateur : Dreas

Inscrit: 1-2005
Envoyé mardi 05 septembre 2006 - 11h37:   

On parle de temps en temps de Sarkozy en Suisse mais je ne comprends pas très bien le rôle que joue ce personnage. Les hommes politiques qui sont de petite taille me sont rarement sympathiques. Berlusconi, par ex., m'horripilait. Va savoir pourquoi.
Nao (Nao)
Identificateur : Nao

Inscrit: 6-2004
Envoyé mardi 05 septembre 2006 - 13h27:   

Moi je sais pourquoi et Berlusconi et Sarkozy m'horipilent
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé mardi 05 septembre 2006 - 19h11:   

Le problème avec "Sarko" est qu'il n'est pas seulement petit par la taille...
Mais il compense par de grandes ambitions électorales!
André Carruzzo (Dreas)
Identificateur : Dreas

Inscrit: 1-2005
Envoyé mardi 05 septembre 2006 - 21h25:   

Panurge et la politique française contemporaine !?

panurge /pa-nur-j' / s. m. Nom d'un personnage de l'œuvre de Rabelais. / Fig. Les moutons de Panurge, les gens qui suivent aveuglément l'exemple des autres, locution prise de la scène où, Panurge jetant dans la mer un des moutons de Dindenault, tous les autres moutons et Dindenault lui-même s'y précipitent à la suite et périssent (Pant. IV, 8).

Le LITTRÉ

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