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André Carruzzo (Dreas)
Identificateur : Dreas

Inscrit: 1-2005
Envoyé mercredi 16 février 2005 - 11h19:   

Pietro CITATI : LA PENSÉE CHATOYANTE / Ulysse et l’Odyssée
Traduit de l’italien par Brigitte Pérol
L’Arpenteur / Gallimard)

« Térpein » est un mot immense, qu’on n’en finit pas d’explorer. Il indique un plaisir total, qui naît de la richesse de l’être ; il ne touche pas seulement celui qui écoute la poésie, mais celui qui mange et aime, celui qui danse, pleure et gémit; celui qui lance le disque ou le javelot, qui jouit des rayons du soleil ou du vent, qui voit quelque chose, contemple les armes d'Héphaïstos ou le paysage de l'île de Calypso. Si nous voulons découvrir un monde dominé entièrement par la joie, il faut nous rappeler le début du neuvième livre de l'Odyssée, quand Ulysse s'apprête à révéler son nom aux Phéaciens. Ce n'est pas un moment de contemplation spirituelle et esthétique, ou de solitude: dans les propos dont Ulysse fait précéder son récit triomphe la vie collective d'une communauté archaïque. Les tables sont couvertes de pain et de viandes, l'échanson verse le vin dans les coupes, les convives prennent place en ordre, l'un à côté de l'autre (ce même ordre qui domine le chant) ; et tous écoutent le poète.
À ce moment, ce n'est pas la vie normale qui se révèle: cette existence quotidienne qui se répète sans intensité ni vibrations dans les romans de Flaubert. Nous sommes parvenus au sommet, au « télos » de l'existence, ou à l'un de ses sommets. Celui qui éprouve de la joie ressent pleinement ce sentiment, satisfait pleinement son désir, quel qu'il soit, mène son expérience jusqu'à sa profondeur la plus extrême. Si celui que fascinent les Sirènes perd la conscience de soi et se perd, celui qui goûte la joie porte le sentiment de soi à une plénitude presque insoutenable. Il n'est pas facile de supporter une telle intensité de la vie. Nous comprenons que, pour Télémaque, écouter le récit de Ménélas à Sparte devienne une joie « terrible ». Les Muses n'ont jamais pratiqué l'art de la limite, même quand elles nous emplissent d'allégresse: elles aiment l'excès et la tragédie jusque dans la joie.
Pour Hésiode comme pour Homère, la poésie est un paradoxe, presque un jeu verbal. Les Muses sont filles de Mnémosyne, déesse de la mémoire. Lorsqu'elles s'adressent à nous, elles nous rappellent, comme les aèdes d'Homère, toute l'histoire des dieux, du cosmos et des hommes; et en même temps, elles abolissent tout souvenir, nous font oublier nos maux, nos soucis, nos angoisses. Nous songeons à la tradition occidentale, qui nous a toujours assuré - affirmation contestable - que la poésie enveloppait nos passions de calme et de sérénité. Mais l'expérience grecque archaïque est autrement plus tragique et profonde. n nous faut oublier totalement, en descendant dans les eaux du Léthé. Et rester fascinés, à écouter la voix d'Hermès qui nous enchante, tandis que le dieu, de sa baguette, ferme nos paupières. Alors nous connaissons le « sommeil » - qui, rappelait Pausanias, est si cher aux Muses. Ce n'est pas un sommeil normal, comme celui de chaque nuit : c'est une torpeur très profonde, une possession, un oubli absolu, un coma, un nuage obscur, une expérience qui nous mène aux limites de la mort, tandis que se répandent dans l'air les vibrations liquides du chant.

(p. 66 et suiv.)
Sarah Gastard (Sarah_gastard)
Identificateur : Sarah_gastard

Inscrit: 8-2006
Envoyé samedi 23 septembre 2006 - 16h36:   

ah oui, cela m'interpelle...je ne sais pas si j'irai l'acheter mais merci pour ces mots.
les Sirènes...

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