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Abîmes poétiques : le forum » Vos textes (publication libre) » Archives : avril - septembre 2004 » Me and myself « précédent Suivant »

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Philippe NOLLET
Envoyé mardi 07 septembre 2004 - 10h29:   

Vous ne pouvez pas imaginer le plaisir que j'ai à parler de moi. Tout le monde devrait ne parler que de soi, ça reposerait de penser du mal des autres. Or la difficulté n'est pas de parler de soi, ça n'a jamais été celle-là, mais de chercher en soi ce qui n'a pas encore été dit.

Moi, donc. Certains exégètes imbus avant tout d'eux-mêmes pensent qu'ils apportent un éclairage nouveau sur mon travail d'écrivain humble et vaniteux, mais tous les éclairages ne viennent que de moi. Je suis une hydre dont les tentacules repoussent sans cesse, une eau qui se régénère indéfiniment, et surtout dans l'opprobre, une vibration infime balançant entre l'ordre et le désordre. Un écrivain ça doit être, plus que quelqu'un, quelque chose qui vit et qui meurt à d'innombrables reprises, chaque jour...

Après avoir tant écrit, un jour mon rêve fut de parler, parler, parler, encore et encore, faire pleurer autour de moi par l'incarnation du verbe dans le réel. Mon rêve était de franchir les villes comme un tribun mystique et d'étendre dans mon sillage, par ma révolte, une longue traîne d'amour. Quel plus bel aveu pour un écrivain ? Idéaliste par passion et syndicaliste par absolue nécessité de l'âme, mon île au trésor c'est Ravachol et mon coeur prend énormément de place, beaucoup trop pour ses capacités organiques intrinsèques... J'ai quarante ans, mais je fais plus jeune, plus jeune que les siècles qui coulent dans mon sang, et si j'aime tant parler de moi c'est pour atteindre à une sorte d'universalité par le je - c'est du charabia mais c'est le mien, un voluptueux charabia sans aucune règle ni limite, aux contours tordus comme les effigies des mosquées, écoeuré que je suis par la littérature qui n'en est pas, par les usurpateurs qui trustent les premières places et se partagent les honneurs (mais mon âme fulminante recrache les honneurs comme des pépins), par cet éternel "air du temps" qui fait autorité et que le Spectacle aspire dans sa machine à broyer...

Ce qui me caractérise de mes contemporains et constitue la matière première de mes livres, c'est d'avoir tout vécu, tout ressenti. J'ai été un grand révolutionnaire, un moine bouddhiste, une petite fille martyrisée, un animal de légende, un grand naïf, un faux cynique, un vrai méchant gentil comme la poudre amoureuse jaillie du colt de Jesse James, un briseur de références érudites à l'usage des cancres, un courageux trop lâche pour se dérober ou fuir...

On me dit polémiste mais c'est pour réduire ma parole, alors qu'il faudrait peut-être prendre un peu son temps et analyser ce que veut dire au juste un polémiste s'il travaille le style au métal de la cruauté. Je n'ai pas sacrifié la poésie à la pornographie comme quelques-uns le croient, mais je cherche - sans la trouver sans doute, car le temps me manque et les années s'égrènent - de nouvelles façons d'entrer dans la gueule du lion, de poétiser le réel, de rendre à la réalité son tragique absolu et sa noire beauté, mais dans un effort absolument et irréversiblement artistique : la réalité n'appartient pas au journalisme de circonstance.

Mon je me souffle des questions sans réponse, mais que je suis bien obligé de me poser, du genre : "la liberté pour quoi faire ?". La démocratie recèle elle aussi son propre totalitarisme, mais un totalitarisme de l'échange économique et de la communication à outrance : la démocratie est un mot de passe. Cette catin n'a aucune leçon d'humanisme ou de générosité à donner aux tyrannies moins apprêtées. Elle n'est qu'une des formes politiques libérales les plus avancées. Et l'une des plus spectaculaires vertus dont elle s'enorgueillit est aussi la plus avilissante : celle de la loi du nombre.

Je pourrais vous inonder sous un Vésuve de pensées abstraites et bariolées mais je ne suis qu'une herbe folle dans un vent pur, je passe dans vos cerveaux comme une ombre que rien ne retient et qui ne sait guère où elle va. Des mots et des phrases font mon convoi, et puis des pages, des pages entières de vérités intimes et de leurres, d'approximations et de contradictions venues d'hier et prêtes pour demain : j'aime trop me tromper et avoir tort pour me ranger à la raison. Ma plus grande félicité c'est de devenir un hérétique jusque dans mes propres obédiences - traître à ma propre cause ! Dans volte-face, il y a aussi faire face, et quand le plus grand honneur consiste à ne plus en avoir, je suis là, en première ligne, comme un bouillonnement de neurones brûlants dans un bloc de glace.

Seul m'importe ce qui se passe au moment où ça se passe, et pourtant je ne suis pas un instantanéiste : je ne suis pas le seul à décider de ce que je dois en penser. Le jeu de mon je n'est pas un coup de chapeau à moi-même. L'auto-célébration me révulse elle aussi. C'est mon moi qui prévaut et témoigne de mon humanité. Quand on connaît bien son moi, on connaît mieux les autres. Le moi ouvre un interstice, alors que le je ferme toutes les portes. Attentif à toutes les contradictions qui se présentent, et surtout les plus aberrantes, plongé corps et âme dans tout sans appartenir à rien, je n'ai pas besoin de passer à l'ennemi pour me vendre, parce que l'ennemi, c'est moi. L'ennemi des gens honnêtes qui refusent de tendre l'autre joue pour être cohérents avec eux-mêmes. L'ennemi des pleutres qui s'éparpillent et des inconséquents qui se regroupent. Des ploutocrates et des gangsters officiels. Des post-modernes aigris et des passéistes sur le retour. Christ fraîchement ressuscité, comme chaque humain sur terre, pour moi seules comptes les victimes : entre un terroriste passé à la chaise électrique et un déserteur narguant son peloton d'exécution, je ne choisis pas, je prends les deux. Je pleure sur les deux. Bien sûr.

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