   
Mariechristine (Mariechristine)
Identificateur : Mariechristine
Inscrit: 12-2003
| Envoyé samedi 07 février 2004 - 19h21: | |
La Geste des anonymes Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un Victor Hugo Nous sommes dans la création jusqu’au cou Antonin Artaud ... je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres, ses enfants et ses amis forment pour lui toute l'espèce humaine. Alexis de Tocqueville Finies l’union et la tendre harmonie. Chacun sa voie comme un loup solitaire Flairant le vent, flairant la mort qui passe L’œil aux aguets, qui s’enfuit ventre à terre Et suit sa faim en effaçant ses traces. Les jours de fièvre, ils se regroupent en hordes. Le temps d’un raid, promptement ils s’accordent Pour dérober, saccager, mettre à sac Puis se détruisent entre eux au bivouac. Finies l’union, l’idéale harmonie. Ils me font peur – durs enfants du remblai – Toujours ailleurs que là où ils pourraient Malgré les blâmes, en dépit des discours, Sous les horions ou rejetant l’amour Toujours ailleurs que là où ils devraient. Je me souviens. Hier encore tu riais D’un papillon, de la pluie, d’un sourire. Ton univers irradiait de ce rire Et je croyais savoir qui tu étais. Triste aujourd’hui ! Je ne te connais plus. Est-ce bien toi ce faux regard perdu ? Sous ton minois, qui es-tu devenu ? Ton rire à l’ire facilement s’enchaîne. D’une câlinerie aux gestes obscènes, D’une claire pensée aux pires injures, Je ne sais plus lesquels de toi parjurent. Finies l’union, l’idéale harmonie. Ils me font peur – froids enfants du remblai – Toujours ailleurs que là où ils pourraient Sans savoir d’où ils sont, sans souvenirs Sans savoir ce qu’ils ont, sans avenir D’un temps si relatif qui les effraie. Mais cependant ils marchent de pied ferme, Tel le moustique attiré par la flamme Brillante et chaude où il va rendre l’âme, Si impatients de parvenir au terme. Adieu l’union et la douce harmonie. Mornes fleurs du remblai, vous grandissez Parmi les herbes folles en déshérence Instruits du pire dès votre prime enfance Dans un monde sans tain, à édifier. Adieu l’union. Adieu, belle harmonie. Voici venu le vil temps du mépris. Naguère encore, le code était précis. Chacun avait sa place accréditée Dans un cercle de pairs, sa dignité – Qu’il fût serf ou vassal – et latitude D’agir ou de dormir sans inquiétude, Pleurant son sort ou remerciant les dieux De l’avoir fait éclore en un tel lieu. Mais quel que fût son rang, faible ou puissant, Quelle que fût sa révolte ou son accord, Il se représentait distinctement Ce qu’on voulait de lui et quels rapports Il lui fallait combattre ou ménager. Le nanti était fier de posséder. Le mitron respectait le pain pétri. Le tricheur se masquait comme un proscrit. Et l’indigent croyait au Paradis. Voici l’heure à présent du vil mépris. Tout est brouillé et le code est caduc. Le nanti sans honneur connaît les trucs Pour paraître moins riche et plus aimable. L’œil du mitron, fixé sur la machine, A oublié les plaisirs de la table. Le tricheur à la une des magazines Etale son sourire et dit son prix. L’indigent ne croit plus au Paradis. Et l’indigent se dit : « Oui, je suis seul. Je m’appelle SDF, sans autre nom. Parfois emmailloté dans mon linceul, J’entends mon corps lâcher ses déjections Dans la nuit sans étoiles à l’unisson Du crissement des pneus ou des talons Des passants qui m’enjambent avec dégoût Comme on saute au-dessus d’un tas de boue. Le jour, j’ai ma bouteille ; elle est à moi, Remplie d’un vin sacré d’absolution. Avec elle, je voyage et je suis roi D’un pays sans verdict et sans cloison. » Et l’indigent nous dit : « Oui, je suis seul. Vous pouvez me lancer, moi, mon linceul, Dans la benne à ordures, cette nuit même. Je suis certain que je ne manquerai A personne ici-bas ni à Dieu même. Telle est ma vie, juste bonne à jeter. » Obscurs parias, eux vont avec leurs chiens De porches en bancs, la canette à la main, Très poliment racketter les piétons D’un euro, d’un mégot ou d’un sourire, La démarche inquiétante, histoire de rire Et d’exhiber la liberté qu’ils ont. En sombres grappes ils s’agrègent au matin Pour statuer sur des litiges vains, Sur l’usage d’un pull ou d’un abri, Toujours garants d’un privilège acquis. Comme à la plage, allongés sur le dos, Ils écoutent la ville ourdir ses flots. Ceux-là sont jeunes, et blancs ou jaunes ou noirs. On reconnaît leurs aires d’influence A leurs sigles tagués pleins d’arrogance Dans les trains, sur les murs et les trottoirs Où fleurit le béton, la barre à mine. On les nomme racaille ou caillera, Grouillement sans pluriel, triste vermine, Car ce sont filles et fils de ces gens-là. D’avoir tant déprécié ou trop vanté Leurs coutumes et leur teint, leurs différences Leur mixité, on en a oublié Qu’ils étaient gens d’ici, peuple de France. Tandis qu’ingénument sur tous les murs United of colors affiche en grand Le dogme du métis resplendissant, Fielleusement l’ostracisme murmure Dans les couloirs, les chambres et les cœurs. Les noirs tambours dévoilent leur rancœur. Mais que sont devenus les authentiques, Les obscurs, les sans-grade ? Peuple oppressé Qui tremble l’œil rivé sur la télé. Où dénicher le paysan mythique Qui meurt au champ par amour de sa terre ? Le Titi, le Marius, le Ch’ti, l’Albert ? Le bougnat astucieux flattant son vin La ménagère enceinte et ses festins L’épicier rubicond, chasseur de grives Le bon facteur que les grands chiens poursuivent. Où sont-ils, les vrais gens, ceux du village ? Ne serait-ce après tout qu’un pur mirage ? Je cherche en vain le génie atavique De ce peuple empesé de folklorique. Qui sont donc à présent les authentiques ?
*** L’authentique aujourd’hui est quotidien. D’une gorgée de bière au mal de dos, Des plaisirs minuscules aux petits maux, Une intelligentsia de l’anodin Portraiture nos vies en petits riens. Nous sommes clippisés dans nos désirs. Interviewés, nos angoisses et plaisirs. Passés en coupe au scanner des sondages, Nous ne taisons plus rien de nos naufrages. Puisque l’âpre misère du dehors S’invite chaque jour à notre table, Que le crime, l’étrange ou les records, Navrants refrains, ne sont plus remarquables, Que pourrions-nous trouver comme antidote De plus troublant et intimement vrai Que nos propres vécus, en quelques traits Stigmatisés sous forme d’anecdotes ? L’authentique aujourd’hui, c’est le banal Emietté aux pages d’un journal A la section des loisirs névrotiques. Telle est notre vision de l’authentique. Et l’authentique est femme, amène, active, Prompte au pardon, Pénélope aux longs cils Dont les doigts ingénieux tissent le fil Jour après jour de peines lucratives. Dans ses voiles de crêpe, elle recueille Le sang des morts qu’elle prend en portefeuille Pour faire valoir les douleurs qui l’endeuillent. Elle sait du malheur tirer le jus A faire des confitures, aux heures perdues. Grâce à elle, rien n’est irréparable ; Même les jours d’ennui sont profitables. Grâce à elle, il est aisé de vivre Mains en travail pour que brillent les cuivres, L’âme affranchie des grands héros des livres. « Seul le réel vaut d’être », nous dit-elle. « Tous ces moulins à vent, chevaliers mornes, Ces anges de la mort et ces licornes M’apporteraient-ils plus que la charnelle Tiédeur lactée de mon fils endormi, Dessous la joue la menotte blottie ? Seul le réel n’est pas perte de temps. Tous les Pourquoi, les Où, les Qui, les Quand Sont superflus. Seul m’importe comment. Ne croyez pas que j’ignore le doute. Je peine à l’endiguer loin de ma route. Ne croyez pas que j’ignore les rêves. Mais je rêve d’ici et pour demain Comme aveugle la vie trace un chemin Où circuler dès que la jeune sève Monte et descend de la terre à la terre. Réel, riche terreau où je prospère. » - Réel ? Mais quel réel, où tu te vautres Comme un porc satisfait dans son lisier ? Ton réel est celui d’un boutiquier Parcimonieux, des coiffeurs, des caissiers, Des journaleux à gages, tristes apôtres D’un monde éteint, sans puissance ni gloire, Où chacun dès vingt ans dresse la liste Exhaustive et courte de ses espoirs. Qu’il est plat, ton réel ! Rêve onaniste ! Chaque matin, elle tâte ses seins Pour guetter les signes d’une grosseur Ou de l’affaissement de leurs rondeurs, A deux mains malaxant chaque matin. Pénélope au miroir, elle s’enduit D’huile embaumée, de pommade onctueuse Afin de resplendir et d’être heureuse Car elle tient en laisse le temps qui fuit. Elle boit tout le jour à petites gorgées, Comme se lèche un chat, l’eau minérale Qui entretient le corps. Pure vestale Au service du dieu de la Santé, Elle honore le culte de l’hygiène. Glorieux défi à un monde insalubre Où les mendiants dans l’attirail lugubre De l’agonie vomissent à ses persiennes.
* Aline le sait bien. Eliminer Cette mauvaise graisse, seule la danse L’y aidera. Et dans quelques séances, De son effort son mari sera gré. La mamie de Thibaut n’a pas le temps De garder le petit pour les vacances ; Lundi prochain, un bateau de plaisance L’emportera vers des cieux plus cléments. Christiane a découvert l’été dernier Les joies de l’art floral en atelier. Elle exprime sa fervente passion De l’ornement dans ses compositions. Anna, Jeanne et Marie indexent en vrac Ce qui pourrait donner sens à leur vie. Au Grand Bazar des hobbies et envies, Fébrilement elles fouillent les bacs. Sophie, Léa, Françoise ou Marylise... Grands tourbillons de hasards sans surprise Les destinées se croisent et s’effarouchent Ridicule saga à la Lelouch. Qui aujourd’hui n’a pas son violon d’Ingres, La petite musique entée au cœur Qui ravive par touches de fraîcheur L’Etre qu’on porte en soi, l’enfant malingre ? C’est un devoir à chacun imposé D’épanouir sa personnalité. Devenir soi, habiter ses passions Sont désormais la plus haute ambition. Tous les médias le disent à la criée : « Soyez vous-même. Explorez vos racines. Osez l’aveu de votre vérité. Pour vous aider, voici nos magazines. » Ainsi va-t-on de brocante en brocante Chiner dans le passé les souvenirs D’un ego oublié à revernir Et habiller son manque existentiel D’un peu de chair, d’un corps artificiel Qui ferait front au néant qui nous hante. L’un collectionnera les pieds de lampe. L’autre saura pour les livres d’estampes Nommer le type et le grain du papier. Et l’un et l’autre, armés de leur savoir, Frappent d’estoc les heures mornes du soir Pour rendre gorge en vaillants chevaliers. Mais nous, les oubliés des guerres saintes Poussés sans foi sur le champ de bataille, Fuyards abandonnés, nous la piétaille, Qui se soucie des raisons de nos plaintes ? Nous rôdons orphelins sans descendance Sur les chemins quêteurs de transcendance. Nos gestes sont par la honte entravés De n’avoir pas l’audace d’espérer, Rivés à nos esprits désabusés Dans un combat qui nous est étranger. Que nous importe un triomphe du Moi, L’exaltation des talents personnels, Lorsque nous voudrions trembler d’émoi A servir un principe intemporel ! - Tout se résorbe aux mots qui nous inondent. L’insurrection en oublie sa faconde Et fuir devient absurde hors de ce monde. Les chemins de traverse où tu t’exiles Mènent tout droit aux portes de l’asile. Ton pieux dédain ne peut nous ébranler ; Le cas en est déjà répertorié. Au cadastre de l’âme, les préposés Ont quadrillé la carte des nausées En maladies et troubles brevetés. Le chemin buissonnier où tu détales Camoufle en fait un couloir d’hôpital.
* Fier Timisoara vil Panama - Massacres feints vrais charniers occultés - Le faux du vrai serait-il bouclier ? Galvanisée, notre actualité A l’évidence a emboîté le pas. La vérité cède place au plausible ; Nous gravitons dans des mondes possibles Sans jamais bien savoir ce qu’il en est. Lui avait dix-sept ans quand il est mort, La cervelle arrachée, un jour d’ennui. Il venait de perdre trois points de vie ; Il s’acquitta du tribut au plus fort. Elle, conservera toute sa vie Dans les plis de sa peau l’odeur musquée Des six adolescents qui l’ont violée Pour s’incarner en Rocco Siffredi. Eux, qu’ils soient jeunes ou vieux, ont vu partir En fumée leur retraite et avenir Pour quelques points de moins sur une courbe Stochastique affolée de signaux fourbes. Et d’autres par milliers, de plan social En plan social, attendent du journal Qu’on blâme leur équipe exécutive A comptabilité trop créative. Le virtuel a néanmoins des charmes Devant lesquels la défiance désarme. Peut-on celer tant d’exemples inouïs Des grands bienfaits de la technologie Qui simule, qui crée ou qui guérit ? Prêt au départ pour remonter le temps, Le spectateur capte sur son écran La savane où ses ancêtres en 3D Lèvent leurs fronts fuyants d’hominidés. De son bureau, l’architecte structure D’immenses tours, des ponts, des paquebots Qui recomposent un visage au futur Selon les plans d’audacieux scénarios. Et mieux encore, un chirurgien hardi Depuis New York résèque le viscère D’un patient à Strasbourg car il opère A bras articulés en haut débit. Tant de bienfaits par la technologie ! Pour le rêve, tant d’espace conquis ! Le virtuel qui ouvre enfin les portes De la physique où nous sommes empêtrés Nous autorise à quitter la peau morte D’une flétrie substantialité. Peut-être ainsi a-t-on poussé les marges Qui étaient assignées à nos corps brefs Et, gommant Dieu, oubliant nos griefs, Avons-nous pris l’éternité en charge. Nous grandissons en réseaux polymorphes Et nous multiplions à l’infini. Jour après jour, dans nos messageries Nous questionnant, donnant leurs points de vue, Un nouvel arrivage d’inconnus Resserre nos liens d’intérêts isomorphes. Nos savoirs se partagent et se déploient Par capillarité, prêts à l’emploi. Amarrés à l’écran, nous bourlinguons De forum en forum, de site en site, Faisant escale à vue pour la visite De quelque page obscure où nous chinons. Mais nous savons aussi nous arrêter Tous ensemble à l’adresse d’un mot d’ordre Pour transformer le monde et son désordre, Etre partie prenante en société. Nous sommes alors en mille autres une voix Qui enfle et pèse et agit sur la vie Concrète et sur les décisions mûries Par quelque politique en son beffroi. Nous sommes libres et forts, seuls mais unis. Le monde vient à nous comme un ami. ... (à suivre) MC.E |