By S (S) on jeudi 29 juin 2000 - 00h09: |
extrait du recueil : Les Temps Présants
Il pleuvait fort entre New York et Chibougamau
Un retour comme un autre ? Sûrement pas, puisque rien n'est jamais
pareil.
La circulation intense de la Première Avenue, un bouchon impossible à
éviter.
Pourquoi en prendre une deuxième ? Surtout lorsque le temps qui court
enfargera assurément son lot du troupeau. Certains bouchons ont le don
de s'insérer à l'improviste. Celui de San Francisco eût un effet
perturbant, le siphon auquel nous eûmes recours ne pût empêcher les
raclements au coeur et à l'esprit...
Les essuie-glaces grincent des dents, le moteur ronronne puissamment.
Inquiétant, la jauge à essence émet un signal dérangeant. Ce n'est pas
le temps de rester en panne, les voies rapides nouillorquaises
n'excusent pas les insouciants. Sur l’accôtement, quelques carcasses en
témoignent. De la voie de gauche, directement à celle de droite,
oublions le centre, pas le temps d'hésiter, la station service s'annonce
à la dernière seconde.
Ouf, une échappée belle ! Un autre pied-de-nez, à Nouillorque la
cruelle.
La speakerine à la radio annonce d'un ton semi-détaché, les horreurs que
j'ai évitées : "Voiture en feu, sur FDR, direction Nord, à la
queuleuleu, de la 30ième à la 60ième..." Avoir pris la Deuxième Avenue,
j'étions fait, de se féliciter l'Henri.
Tout tourne au ralenti, on dépasse à droite, au centre et à gauche...
"Nous payons nos impôts et nous respectons les lois, alors redonnez-nous
notre rêve Ami requin!" "Votez pour moi, je me battrai, avec force et
sans armures, pour redonner un avenir à nos enfants!"
Le préposé a rempli mon réservoir d'essence oxygéné, il ne s'est pas
gêné pour réclamer une augmentation de quinze sous le gallon. " On vous
l'a déjà dit, nous n'augmenterons pas vos impôts ! " L'entreprise privée
ne s'en prive pourtant pas, elle !
Les Henry Nobody, prennent les sorties de banlieue, la route se dégage
un tant soit peu, mais les banlieues font aussi leur queu-leu-leu.
Gardons la gauche, la pluie tombe, le moteur gronde, les souvenirs
reviennent, en fronde.
À l’aller, à la frontière, on nous a fouillé l'auto et moi. Ai-je l'air
d'un criminel ? Le modèle du bolide n'est peut-être pas assez récent ?
Vider ses poches et présenter toutes ses menues possessions, comme si la
perversion pouvait venir d'un espion aux cheveux longs. Mais on
s’habitude à tout cela, ce n'est pas la première fois.
" Non, je n'ai jamais été arrêté, pas de dossier, on ne m'a pas encore
refusé
l'entrée en votre pays. Mon coffre est vide, ma valise l'est aussi, je
ne suis empli que du désir de revoir ma chérie. De votre fichu pays, je
n'ai rien à faire, je ne vous le violerai pas, je n'irai pas sillonner
vos rues, au lit, je resterai. "
Les agents n'eurent rien à redire, tout était conforme, on me donna la
permission d'aller à votre cour... Et j'étais sur mon retour, à scruter
la route, au volant d'une carcasse roulante, en divaguant et délirant
sur des airs de laisser faire.
Comme l'écureuil prévoyant, j'avais ma provision de noix et une quantité
suffisante de cigarettes à griller. J'en ai bien pour six heures à
rouler, à refaire le chemin, à m'éloigner du Nouillorque qui me
contraint à espérer que le désespoir ne vienne que très tard, un soir.
J'ai maintenant des repères, la route ne m'est plus inconnue, de votre
enfer, bien des fois m'en suis revenu. Toujours un peu plus trouble,
toujours sans le rouble...
Roule, Henri, n'oublie pas l'arrêt pipi, il pourrait être un peu trop
tard pour changer d'avis ! Sa vie, Henri, avait bien failli la changer,
mais il était revenu à son Chibougamau, comme un oiseau migrateur qui a
inscrit dans ses gènes la voie à suivre pour retrouver son nid, son
paradis.
Tout un paradis, tout un ennui. Où est l'ennemi, que je l'abatte, que
je le pourfende ! L'ennemi, c'est l'oubli, l'oubli de la chaleur de son
lit, de la langueur de la passion folie.
Albany, qu'une indication, qu'un ralentissement. Rien n'indique que la
passion qui m'habite n'enregistre une baisse, ou un quelconque
ralentissement.
De cette passion qui transperce, de ce trouble qui ne suit aucune
consigne, j'absorbe les contrecoups, mon coeur se serre, mon esprit
déraille. le temps de faire de l'air à 140 km/heure.
Lake George ! Un jour je l'y emmènerai, nous louerons une chambre et
nous y ferons une valse pour un temps, le temps de bien se recoller, de
faire la grimace aux intempéries de nos différences infinies.
À chacun de mes passages dans cette ville monstrueuse, une laideur de
plus s'inscrit dans ma mémoire, à chacune de mes visites, me reste une
amertume, une terrible sensation d'impuissance face à ce monde
envahissant.
Depuis la dernière mise-au-point, la Pontiac a pris un air démoniaque
et, sur cette ligne droite, elle s'affole, elle enfile des milles et des
miles.
Son moteur, bien que couvert de rouille, propulse gaiement le garnement
vers sa sorcière, il dévale rapidement les paysages pour s'en échapper.
Quand cet après-midi là, Henri reprit la route, le soleil essayait de
polir la grisaille de la vie. Les sans-abri faisaient sécher leurs
hardes sur les clôtures. Et Henri, les bras chargés de ses bagages,
suait à grosses gouttes. Sa Germaine avait elle aussi les bras bien
lourds. Se remettraient-ils de cette déconvenue ? De laquelle ? Me
direz-vous ! Mais, je ne le vous dirai pas.
Dans ces avenues parcourues les yeux en haut, les yeux en bas, en
louvoyant au travers d'une foule, toujours aussi triste, touriste, je me
sens étranger à vous, je ne vous rejoins pas, la raison ne peut se faire
à errer sans âme, votre Manhattan me damne, j'en perd mon calme, le ton
se hausse, l'esprit dérape et le coeur s'en balance. Revoilà les piques
! Avant de s'y écorcher, reprenons le champs de trèfles.
Henri, enleva sa veste, écoutant de ce fait, le conseil de Belle. Il
fait bien assez beau, qu'elle lui avait dit. Henri se défit ainsi de
son revers de veste, il mit les pieds dans son carrosse, mais en
ressortit pour serrer contre lui sa maîtresse, sans sa veste, ni son
armure. Il se laissa aller à l'Espérée, mais il fallut bien la
quitter. Il reviendrait sur ses pas, mi-décembre ou début janvier.
Passé Lake George, une bruine s'installa, rien pour faire réduire
l'allure. Faut quand même que je m'arrête, besoin urgent ! Il s'arrêta
à la halte routière de Schroon Lake, il remit sa veste sans penser aux
revers, la vie est bien assez, trop à l'envers, pour s'arrêter à des
jeux de mots.
Henri fit le vide face à la pissotière et ressortit aussitôt. Il
respira un bon coup, le temps s'était mis au noir, les après-midi sont
courts en novembre, les nuits sont longues loin de l'Espérée.
L'errance s'installe sur ce chemin sans toi.
Reprenons la route ! Moins de deux heures de l'arrivée. De quelle
arrivée ? De celle où je suis le perdant ? Ses idées n'étaient pas
très claires, elles le furent encore moins, quand il dut franchir les
bancs de brouillard.
Je n'y vois rien, mais je ralentis à peine, je fonce comme un aveugle,
je n'y vois que le velouté de son corps gracile. Il n'est pas facile de
garder son calme, devant une telle tempête ! Parlant tempête, de gros
flocons commencèrent à s'abattre sur la Pontiac. Noirceur blanchie!
Oups, je ralentis! C'est pas le temps de prendre le champ !
Champlain, le temps de conter quelques menteries au douanier, j'étais de
mon côté de la frontière, à des années lumières de ses caresses, mais
quand je ferme les paupières, et que je me laisse gagner par l'ivresse,
je la revois, la retrouve et je m'y perds.
Longueuil, me voilà rendu !
La mi-décembre a passé sans que je puisse aller la retrouver. Tempête
de pluie en son pays et chez-moi, plein d'ennui.
Et c'est fini ! Le prochain voyage fera partie d'une autre histoire, de
toujours notre même histoire, mais dans un autre présent !
Richard
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