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franz (Franz)
Identificateur : Franz

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Envoyé samedi 01 avril 2006 - 2h41:   

La grenouillette.

Passé l'âge de 4 ans, (j'étais déjà orphelin depuis plus d'une année), nous avions coutume d'aller pique-niquer chez la famille Lagrois qui résidait dans une petite maison sous les arbres tout près de la rivière des Outaouais. La mère, une ancienne institutrice, avait toutes les apparences d'une métisse amérindienne avec sa chevelure noire et son teint bronzé. C'était un bien brave femme, aussi exhubérante qu'excessive et qui jouissait d'un appétit d'ogresse. Elle devait bien peser dans les cent cinquante kilo et même davantage. Elle était de celles qui communiquaient encore par lettres, (de la plus pure poésie), à cette époque où on s'écrivait toujours, l'usage du téléphone n'étant pas généralisé, ni à la portée de toutes les bourses.

Sa famille se composait de six magnifiques enfants au teint tout basané, chevelures noire jais, tous plus âgés que moi, dont une superbe fille aînée aux yeux bridés, au profil élancé et délicat avec tous les traits d'un princesse des forêts américaines qui aurait sûrement fait délirer Châteaubriand.

Quant à sa soeur cadette, Monique, qui devait bien avoir onze ans, c'était plutôt le contraire de l'autre. Elle était grande et fortement développée pour son âge. Mais elle avait de ces grands yeux noirs, si noirs qu'on ne pouvait distinguer la pupille de l'iris, et un sourire lumineux d'où rayonnait une grande vivacité, une ardente joie de vivre et encore beaucoup de l'émerveillement de l'enfance.

Au milieu de la matinée, Monique s'offrit de nous amuser et de nous amener, ma soeur, mon petit frère et moi, faire une promenade sur la berge. Elle était tout simplement émerveillée de m'entendre parler avec autant de vocabulaire et pouffait intérieurement de surprise à chacune de mes questions. Je crois aussi que son coeur de pré-adolescente précoce s'était un peu épris de nous et qu'elle s'était émue de nous voir tous les trois, orphelins et si jeunes...

Cette promenade sur la rive me transporta de bonheur. Un nouvel endroit à explorer. Pour moi, c'était un peu le paradis à découvrir. Les berges étaient d'un sable si fin qu'elles formaient une surface plutôt dure et uniforme qui ne se déplaçait pas sous les pieds. Et cette rivière, puissante, immense et majestueuse dont on voyait à peine de l'autre côté! Il n'y passait au loin que quelques rares navires de marchandises ainsi qu'un dernier bateau de croisière du Canadian Pacific qui faisait encore le trajet Ottawa-Montréal. Il avait d'ailleurs attiré mon attention en faisant entendre au large le bruit bien spécial et tout nouveau pour moi de ses nombreux sifflets à vapeur. Moi qui s'ennuyais à la maison, je découvrais ici et respirais l'immensité. Cette immensité me brûlait le cerveau et je me sentais ivre comme ces grands oiseaux blancs que je voyais tournoyer à l'infini dans le soleil et dans le creux des vagues.

Comme j'étais déjà à l'âge des pourquoi, ma première question fut de demander à Monique pourquoi il y avait tant d'oiseaux qui volaient dans l'eau et comment ils faisaient pour ne pas se noyer. Elle m'expliqua avec son plus beau sourire et avec une tendresse émue que la rivière était comme un grand miroir et que les oiseaux que j'apercevais dans l'eau, c'était les mêmes que ceux du ciel tout comme lorsque je me regardais dans un miroir.

Sa réponse combla, mais aussi aviva ma curiosité, car j'étais à un stade où j'explorais les moindres curiosités de l'univers avec cette soif insatiable de tout connaître, de tout comprendre et de tout aimer. Il y avait cette parfum de rivière qui m'étonnait, comme une odeur de poissons et d'herbages. Et sur les bords, tous ces petits coquillages ouverts de moules multicolores. J'avais la vue extrêmement pointue. Le moindre détail, la plus petite bête pélagique, un insecte nouveau, l'écume, des traces sur le sable faisaient l'objet de mon inspection passionnée et de très nombreuses questions.

Tout à coup, j'aperçus une deuxième grenouille tout verte beaucoup plus petite que la précédente. Et me tournant vers Monique, je lui demandai pour savoir si elle était dans la même situation que moi:

" Est-ce que la grande est la maman de la petite? "

Et Monique qui avait peut-être compris davantage le pourquoi de mon inquiétude me répondit, amusée, avec son plus large sourire: " Quelle question! Mais, voyons! François! " me disait-elle avec affection.

Je ne savais plus comment interpréter sa réponse. Me blâmait-elle de ne pas savoir ? Je me sentis un peu confus, car je ne réussissais pas à comprendre le sens de son sourire. Et ma soeur qui semblait en avoir assez de mes questions... - "Je voulais seulement le savoir, " balbutiai-je, comme pour m'excuser. - " Mais voyons, François! " répéta-t-elle.

Elle continuait de me regarder avec son grand sourire. Mais moi, j'aurais aimé qu'elle me réponde clairement, pour être bien certain de la réponse, pour être certain de la situation de cette grenouillette, pour savoir si elle était aussi, elle, si petite, malheureuse comme moi et sans sa maman, avant de lui accorder ma sympathie.

Toujours est-il que je n'ai jamais la vraie réponse. Et je suis resté comme dans l'ambiguité, sans savoir si cette bestiole était heureuse ou malheureuse. J'ai conservais tout de même comme un petit doute, qu'elle était peut-être orpheline comme moi, elle aussi. Mais que Monique n'avait pas voulu pas me le dire afin que je n'aie pas de peine pour elle... snif!

FIN

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