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Rienadire (Rienadire)
Identificateur : Rienadire

Inscrit: 2-2005
Envoyé samedi 02 juin 2007 - 12h43:   

J'avais passé une bonne nuit, une de ces nuits dont on sort reposé, vivifié, plein d'entrain et d'optimisme, avec ancrée à l'âme la certitude que la journée sera belle. D'ou me vient cette belle humeur ?d'ou vient cette impression d'être jeune et joyeux, cette impression de n'avoir jamais été aussi jeune et enthousiaste ? Oui, la vie est belle, et dans quelques jours, dans une semaine exactement, je vais rejoindre Thérèse aux Canaries, ou elle se trouve déjà. Elle y loue une petite maison, j'ai vu les photos, Thérèse est souriante, on peut apercevoir en arrière plan deux chevaux, Thérèse a une passion pour les chevaux. Comme elle est belle! Comme elle paraît jeune encore, et dans son sourire j'ai bien vu qu'elle m'attendait et me désirait, me désirait moi. J'imagine déjà mon arrivée, dés la descente de l'avion, nous allons nous jeter dans les bras l'un de l'autre, je vais l'étreindre fort, fort, fort comme avant. Je vois déjà les sourires amusés et complices des gens autour de nous, des gens heureux de mon bonheur, de notre bonheur, je l'aime, je l'aime, c'est magique, c'est dingue! j'ai vingt ans, c'est fantastique! Les douaniers et les policiers vont nous laisser passer très vite, il voient bien que Thérèse et moi nous sommes pressés, que nous allons faire l'amour, tout le monde le voit, même les oiseaux de l'île qui ne chantent que pour nous.
Le signal du répondeur téléphonique clignote, mon sommeil était tellement profond que je n'avais rien entendu, mais on m'a laissé un message, mon passeport est prêt. Je décide d'aller le retirer immédiatement à la préfecture, je prendrai un café et un croissant à Mende.
A mon retour , une foule immense empêche toute circulation. C'est impressionnant, la foule avance doucement, et il semble que la marée de ces marcheurs silencieux se dirige vers le cimetière. Oui, c'est bien cela .
La foule est trop compacte, et progresse avec lenteur, je ne pourrai pas passer en voiture avant un bon moment, de toute façon me voilà saisi de respect. Impressionné, je gare ma voiture, je me décoiffe, je fais le signe de la croix et je me joins au cortège de la famille et des amis.
C’est un bel enterrement.
Le corbillard avance lentement, avec une lenteur impressionnante, comme le temps qui s’écoule, sûrement, avec force, inéluctable, comme pour dire que rien n’arrête la roue du destin, il est tiré par deux chevaux , avec derrière lui un curé de campagne, escortés deux enfants de cœur habillés de rouge, et derrière une foule, comme une marée humaine, silencieuse d’un silence qui résonne dans les âmes et pénètre de gravité la conscience des mortels, et la soutane du curé est noire, du même noir que celui qui drape les chevaux .
Je reconnais mon fils au premier rang, d’autres visages attirent mon attention, j’éprouve la sensation d’un déjà vu, vu dans ma vie il y a si longtemps et oubliés depuis, vu dans des rêves peut être ou dans des livres naguère. Je suis à l’unisson avec tous ces gens, et voilà que, comme eux probablement, j’entends cette petite voix intérieure qui me souffle : un jour, ce sera ton tour. Mes yeux sont mouillés, mélange de gouttes de la petite pluie qui tombe et de larmes, non pas des larmes de désespoir, d’émotion plutôt, comme une émotion artistique. La pluie alterne avec des percées de rayons de soleil, et au moment ou le corbillard passe l’entrée du cimetière, on aperçoit, à travers le portail en fer forgé, un arc en ciel.
Qui est cet homme que l’on enterre ? et d’ou me vient cette certitude que c’est un homme et pas une femme ?
Un personnage important de toute façon, à en juger par l’immensité de la foule, et par sa ferveur.
L’arc en ciel est toujours là pendant les prières et le discours, très digne et d’une émotion contenue.
Et voilà que le cercueil descend dans la tombe, cercueil qui me paraît très léger, mais là encore pourquoi cette impression je ne saurais le dire, et l’arc en ciel disparaît, comme s’il avait accompagné le mort dans la tombe .
La foule a peu à peu vidé le cimetière. Je reste encore, d'une part parce que j'attends que la route devienne praticable pour ma voiture, mais aussi et surtout parce que je désire prolonger l'état dans lequel m'a mis cette cérémonie.
La route est dégagée maintenant et je peux rentrer.
Il y a beaucoup de monde chez moi. Les gens devisent, cela a un petit air de vernissage, on a dressé un petit buffet. Je vais de groupe en groupe, écoutant les conversations, certaines personnes sont légèrement euphoriques, elles plaisantent et boivent à la santé du disparu. Les gens ne semblent pas s'apercevoir de ma présence. Je devrais être étonné, je n'ai invité personne chez moi, mais enfin je n'y fais pas plus attention que cela. Une dame parle avec un homme qui l’écoute tout en grignotant des toast avec gourmandise . Oui, elle l’avait connu. On dit qu’il serait devenu bizarre à son retour de vacances, aux Canaries croit elle. Il aurait perdu goût à la vie. Il se serait laissé mourir......
Le champagne aidant, l'ambiance devint bruyante et je sortis pour marcher.
La pluie avait purgé le ciel de tout nuage, des étoiles s’allumaient.
La porte du cimetière était encore ouverte. J'y entrai, comme attiré, comme si une mystérieuse fiancée m'y attendait.
Pour l'éternité.
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé samedi 02 juin 2007 - 17h10:   

O mors mea!
De toute éternité, tu me tiens entre tes bras!
Rienadire (Rienadire)
Identificateur : Rienadire

Inscrit: 2-2005
Envoyé samedi 02 juin 2007 - 22h07:   

Je pensais, cher Tm, en ecrivant ce texte, à Brassens,qui a évoqué ce thème de la mort, avec humour, poésie et gravité.Citons La supplique pour être enterré à Sète,Mais ou sont les corbillards d'antan, Grand père suivait en chantant la route qui mène à cent ans...(je le connais par coeur)mais particulierement à une chanson dont j'ai oublié le titre et qui narrait la rencontre avec la Mort, symbolisée par une femme squelletique, dont j'ai encore l'air en tête, et quelques bribes de texte....foin des femelles décharnées, j'aime les belles un tantinet rondelettes, rondlèèèttes, avec un homme qui finalement se laisse convaincre de la suivre, et la chanson se termine par: et les v'là partis vers leurs nôces, vers leurs nôôces!
Quand à mon texte je ne le trouve pas vraiment satisfaisant et je compte le travailler encore, comment faire, par exemple, pour que le lecteur fasse un lien entre les deux chevaux sur la photo de Therèse aux Canaries avec les deux chevaux qui tirent le corbillard?
Tout cela ne me parait pas réellement réussi.
Je te serais reconnaisant de quelques critiques et conseils.
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé dimanche 03 juin 2007 - 13h29:   

"...Thérèse a une passion pour les chevaux." J'ajouterais: pourtant ceux-ci sont des chevaux de trait vêtus de sombre.

Moi, je trouve le tout réussi. Peut-être faudrait-il accentuer un peu et clarifier l'idée de la vie oeuvre d'art? Le fait que le personnage ait perdu le goût de vivre cadre-t-il tout à fait avec cette idée? Je me demande pourquoi le ciel n'est pas noir, alors... En même temps, je me rends compte de ce que représentent cet arc en ciel et cet azur limpide,symboliquement justifiés.

J'admire beaucoup Brassens mais j'avoue connaître peu son répertoire. Parmi les grands du genre, Brel, Béart, Ferré, Ferrat ou Barbara me sont plus familiers.
Ton texte me fait plutôt penser à une chanson de Louis Chedid, "Ainsi soit-il", qui montre comme une vie "parfaite" peut ressembler à un film de cinéma purement conventionnel.

Il y a bien quelques fautes dans ton texte, mais elles ne gâchent en rien la lecture.

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