Rienadire (Rienadire)
Identificateur : Rienadire
Inscrit: 2-2005
| Envoyé vendredi 08 décembre 2006 - 16h03: | |
Texte : Mon père, vous êtes le confesseur de sa majesté le Roi et vous me faites grand honneur à m'écouter. Il vous appartiendra de me donner ou non l'absolution de mes péchés. Mais je vous demande de faire silence pendant que je vous parle. Sachez qu'il m'importe peu que vous me donniez ou non l'absolution, le pardon je ne l'attends que de Dieu et non pas d'un prêtre, fut-il le confesseur du Roi. Je vous ai choisi car j'estime en vous la finesse de vos analyses théologiques, j'ai grandement apprécié votre petit traité sur le pardon et le péché, même si j'ai quelques réserves à emmettre. Ce traité me suit sur mon navire corsaire et je le lis souvent, ainsi que d'autres écrits par d’éminents théologiens juifs ou mahométans. J'ai également eu le privilège d'entretiens avec des sorciers qui sont en quelques sorte les prêtres de ce que vous appelez les sauvages, et vous seriez très étonné, mon père, de la teneur de ces conversations. Mais, de cela, nous parlerons une autre fois. Pour l'heure, je veux vous entretenir du trouble qui s'installe en mon âme. Sous texte: J'essaye de me souvenir aujourd'hui de l'état d'esprit dans lequel j'étais au moment ou furent écrites ces quelques lignes que je te retransmets dans la même enveloppe sur un feuillet séparé et imprimé. Le conte m'apparaissait à la fois comme un aventurier et en même temps comme un érudit philosophe. Cette dualité entre le philosophe et le corsaire n'était pas pour me déplaire, je pressentais vaguement la résolution de cette contradiction en une synthèse supérieure du personnage. C'est sans doute la raison pour laquelle je le fis parler de sorciers. Raison inconsciente ? Je voulais en tous les cas suggérer que la culture du conte ne se limitait pas à une pure érudition, mais que ce qui faisait sa grande force, c'est qu'il était déjà parvenu à un début de réalisation spirituelle, qu'il était passé par l'initiation. Comme tu le constates, ce début d texte n'est qu'un brouillon, s’arrête au beau milieu d'une phrase..... Le conte va nous parler maintenant de cette petite Joséphine, et du cataclysme intérieur que cette rencontre va occasionner, de la tempête que cela va entraîner en son âme. Retour au texte J'avais tout lieu d'être satisfait de cette servante ; Travailleuse, dévouée, soumise comme il sied à une femme et à fortiori à une servante. Que Dieu me pardonne, la chair est faible et très vite je lui ai demandé de partager ma couche chaque fois que j'en avais le désir. Et elle se soumettait, dans l’obéissance la plus totale, n’était-ce pas dans l'ordre des choses ? J’étais homme et elle était femme, j'étais le seul maître à bord paré Dieu et elle était servante. Il faut bien avouer que cette relation m'apportait beaucoup plus que mes amours à la cour du Roi, oui cela me changeait grandement de ces belles et nobles dames dont j'avais fait les conquêtes. Je m’étonnais de l'étrangeté de cette situation. Comment une servante pouvait elle rivaliser avec les plus belles courtisanes si expertes pourtant dans l'art du plaisir? La félicité que je connus alla croissant au fil du temps, et je ne vis pas grandir le trouble en moi, et quand ce trouble ne put plus être ignoré, il était tellement et si inextricablement mêlé au plaisir que je n'eus point la force de m'en débarrasser. Et quand je dis trouble, mon père, le mot est bien faible, le mot tempête conviendrait mieux, et le marin que je suis sait de quoi il parle. De la mer, l'homme ne connaît que la surface sauf pendant la tempête ou elle se révèle vraiment, alors la peur peut apparaître, mais aussi et surtout la fascination. Ceux qui s'en sortent vivants sont soulagés en même temps que déçus quand la tempête s'éloigne, déçus de n'avoir pas été choisis par elle....... Ce sont ses yeux qui captèrent mon attention. Leur couleur que l'on ne peut nommer, leur couleur changeante comme celle de la mer, la couleur de la mer. Mais de la mer les yeux n'avaient pas que la couleur, quand je m’aventurais à les regarder, je courais le risque d'être happé par eux, subjugué, et je n'avais d'autre choix que d'y plonger, irrésistiblement attiré et ces yeux devenaient la mer elle-même. Et quand Joséphine faisait l'amour, les vents pouvaient menacer, les monstres marins se réveiller et le corps de Joséphine devenait océan, et mon être entier se trouvait alors ballotté comme paillette au milieu de la tempête. Puis comme par magie, tout devenait calme et l'eau se faisait aimante et claire et j y baignais comme dans un état de félicité. Je n'aurais jamais du regarder dans ses yeux. J'ai l'habitude de regarder dans les yeux, dans ceux des hommes pour les dompter, dans ceux des femmes pour les séduire. Mais je n'aurais jamais du regarder ses yeux, on ne regarde pas un précipice par peur du vertige, mais pouvais-je savoir ce qu'il y avait derrière ces yeux. Ces yeux sans couleurs, ces yeux envoûtants, captivants. Et je n'aurais pas du non plus écouter les sons de sa voix, une voix rauque et aphrodisiaque dont les intonations plaintives me faisaient pénétrer dans son plaisir à tel point que je faisais un avec elle, un avec sa jouissance. Et je descendais, je descendais dans les gouffres marins, et plus le fond approchait et plus une force montait en moi, une force comme venue du fond des âges, comme venue de Lucifer, primordiale et vitale et me transformant, nous transformant en une sensation à la fois de plaisir et d'exquise souffrance. Me suis je approché de l'enfer, mon père, ou bien ai-je goûté à ce que la Sainte Eglise promet pour l'au delà à ses pieuses ouailles? Ne vous hâtez pas de répondre, mon père, méditez d'abord sur les Saintes Ecritures qui nous relatent qu'avant de monter au ciel, notre Seigneur Jésus Christ est descendu aux enfers. Le prêtre restait silencieux et se gardait de juger. Dieu seul pouvait sonder les mystères de l'âme humaine. Il se souvenait d'un garçon qu'il avait connu il y a bien longtemps, avant d'être appelé à la cour du Roi, alors qu'il n'était qu'un petit curé de province. Il s'agenouilla et tenta de trouver la paix dans la prière. Le comte quitta la pièce en silence. |