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André Carruzzo (Dreas)
Identificateur : Dreas

Inscrit: 1-2005
Envoyé lundi 14 février 2005 - 23h29:   

Broeckland & Plouftie

Le Broeckland est une contrée où, sous la protection de mâtins aux babines rouge-sang, vit une peuplade dont les habitudes - inaliénables – échappent à la compréhension de tous les sociologues, ethnologues et anthropologues qui viennent l’étudier.
Le jour durant, les hommes explorent marais et bras morts de rivières, zones riches en bestioles qu’ils nomment “friture de verre” ; ils les prennent au moyen de filets aux mailles très fines puis les jettent au fond de grands sacs où, lentement, elles meurent ; les petits cadavres vitreux sont quotidiennement cuits et recuits jusqu’à la plus parfaite transparence et constituent le plat de résistance des menus broecklandais.
Comme chez certains singes, ou comme chez les tétras, seuls quelques mâles dominants ont licence de procréer. Quand leur temps est passé, ils vont se recueillir, une lunaison durant, dans un lieu appelé “aire fabulatrice“ ; ils racontent, à leur retour, des histoires parfois tragiques mais le plus souvent très rigolotes. Tous les Broecklandais, toutes les Broecklandaises, sans exception, se font un devoir de venir écouter ces récits qui constituent les seuls événements culturels de leur nation.
Les femmes cuisinent, cuisent et recuisent ; certaines – et ce sont les cordons bleus les plus appréciés – réussissent un plat principal totalement invisible ; quelques-unes consacrent leurs loisirs à l’interprétation des songes ; d’autres, à la contemplation des brumes, des vapeurs et des fumées.
Dès que les enfants savent marcher et parler, ils s’éduquent mutuellement. Les adultes n’interviennent qu’en cas de conflit.
Des rongeurs silencieux, qui se nourrissent de Dieu sait quoi, courent sans cesse dans les escaliers reliant les caves aux cuisines, grouillement jugé bénéfique par les sages de la tribu.

Les Broecklandais entretiennent des relations commerciales avec les Plouftes. Ils leur vendent les molosses à babines rouges surnuméraires ainsi que les quelques femmes définitivement accaparées par le mystère des vapeurs et des fumées et devenues aussi volatiles que les phénomènes qui les envoûtent. Ils leur achètent du bois – les forêts sont fort denses en Plouftie – et des treuils, appareils que les artisans plouftes confectionnent avec une maîtrise absolue.

Or les Plouftes, petite tribu oubliée de Grande Garabagne, pâtissent constamment de pertes de mémoire.
Leur lieu de culte est un étang au milieu duquel se dresse une sorte de potence équipée d'un treuil pour guinder. L'étang est entouré de deux rangées de gradins entièrement occupées lors de chaque cérémonie.
Celle-ci consiste à faire subir le supplice de l'estrapade aux vieillards impotents ou à quelques très rares captifs. Les Plouftes y assistent non pour le plaisir malsain ou imbécile de voir souffrir quelqu'un mais pour celui - plus honorable et digne - de se ressouvenir. En effet, ce qui les réjouit, c’est le bruit que fait le corps de la victime en frappant l'eau avant d'y disparaître - celui que fait ce même corps en ressurgissant n’enchante que les fidèles les plus subtils. Ces bruits leur rappellent les syllabes du nom de leur peuple (plouf'te à l'aller, t'foulp au retour). La victime est employée à cette fin jusqu'à ce que mort s'ensuive - et même au-delà, tant le rappel répété de leur nom plonge les Plouftes en profonde délectation.
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé mercredi 16 février 2005 - 14h56:   

Que voilà une fort surprenante découverte ethnico-utopico-comique! A soumettre d'urgence au grand Collège de Pataphysique à des fins de comparaison avec la gent shadoque et la nation gibie!
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé jeudi 17 février 2005 - 8h54:   

Tout de même, je me demande si les Broecklandais ne devraient pas porter l'affaire devant le tribunal international de La Haye...
On m'a dit que les Plouftes assistent à l'estrapade à l'heure du thé...
Je me demande ce que penseraient de tout cela Rabelais et Lévi-Strauss...
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé jeudi 17 février 2005 - 14h22:   

Horde de Broecklandais
grouillis des Plouftes

Tenez-vous bien!

Nous, tyran de Neuve-Patagonie, sacré roy de par la pantocratique volonté de sa majestueuse extrêmité Ubu II, palindromesque héritier de l'Ubu son père, Maître ès Pataphysique, -avons, à seule fin de distraire notre royale humeur de sa nauséeuse mélancolie, ce jour pris l'irrévocable décision d'annexer toutes contrées solides et liquides enquels lieux vous vous plaisez à pulluler, pour l'excellente et suffisante raison qu'enfler notre bezine expansionniste, qui se plaint, je panse, de trop de vacuité, agrée à notre bon plaisir.

Vous enjoignons adonc d'accueillir sans réserve aucune, de crainte qu'elle ne se fâche, notre impérieuse personne.

Vous recommandons sur le tout de préparer les chaudrons aux cuisines, notre faim se faisant d'ores et déjà sentir à viser si grande entreprise, ce dont il est encore en notre gré de vous faire payer les frais par l'abandon total, corps et biens, de vos personnes.

Par grande magnanimité sera perpétuée l'exquise tradition de l'estrapade, mais étendue à tout le brave monde dans le but que personne n'en soit frustré, pour la réalisation de quoi chacun, Broecklandais ou Ploufte, trouvera son tour à la potence, spectacle que, dans un esprit oecuménique, nous enrichirons de plaisantes bagatelles, à savoir torsion des boyaux, traction des oneilles, étouffement en la poche et autres amusements divers.

De par ma chandelle verte, de l'an... etc.
André Carruzzo (Dreas)
Identificateur : Dreas

Inscrit: 1-2005
Envoyé jeudi 17 février 2005 - 14h34:   

Hé ! Qu’Ubu fasse gaffe ! Les molosses à babines rouges ne feront qu’une bouchée du roy et de son ost.
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé jeudi 17 février 2005 - 15h29:   

En ce temps-là, Jésus désoeuvré réunit ses apôtres.
-Pierre, dit-il, est-il vrai que parmi nos frères, il s'en trouve encore pour s'adonner aux pratiques du Satan?
Pierre réfléchit et répondit:
-Il en est comme tu le dis, Seigneur. De part et d'autre du Manchon, mer lointaine, Broecklandais et Plouftes se complaisent, à ce qu'on dit, dans la vénération des chiens et pratiquent force tortures qu'infligent les uns aux autres.
Ayant dit, Pierre se tourna vers Paul, et Paul aquiesça d'un signe de la tête. alors le Seigneur leur tint ce discours:
-Mes Frères, il ne peut être dans la lumière, celui qui se bouche les yeux.
-Et vice-versa, ajouta Judas.
-Au nom du Père...
-Et du Saint Esprit, glissa Judas.
-Judas, tais-toi. Par la Gloire de notre Père, il nous faut prendre en pitié ces fréres et leur porter secours. Autrefois, tous ensemble, nos yeux se noyaient dans la noirceur de Satan, car il nous fut donnée une mère qu'il tenta par la pomme de connaissance. Mais qu'erre celui qui ne veut pas voir la lumière, cela nous ne pouvons le laisser faire, car il descendrait plus avant dans les ténèbres.
-Tu l'as dit! approuvèrent les apôtres.
Et ils levèrent le coude à la santé du Seigneur. Et ils sautèrent sur le premier charriot venu. Et ils quittèrent la Judée pour s'embarquer dans la première galère à la conquête de la Plouftie et du Broeckland, où les hommes pêchaient encore et toujours, car ils étaient décidés à leur porter la lumière. Et pour ce faire s'armèrent de calices en fer et de gourdins sacrés.
Au moment où l'on larguait les amarres, Judas dégringolant de la colline les héla:
-Seigneur, prends ce paquet de sucres. Tu en distribueras aux molosses qui protègent ces contrées. Et si leur nombre est insuffisant, tu les multiplieras comme tu fis avec le pain.
Et Jésus le remercia par un baiser.
Les amarres furent larguées et Jésus partit avec ses apôtres.
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé jeudi 17 février 2005 - 16h20:   

Il est à craindre qu'ils ne rencontrent l'ubuesque ost.
J'espère que le Saigneur me le pardonnera!
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé vendredi 18 février 2005 - 15h22:   

JOURNAL DE BORD.

22 avroût.

Seul sur la mer! Quelle misère! Encore heureux qu'un rondin flottait par là! En ai croisé d'autres, juste à temps pour éviter de servir tout entier de repas aux requins. Perdu un orteil quand même. Me suis fait un radeau en les liant avec mes vêtements réduits à l'état de charpie. Quelle énergie! J'en suis médusé!
Panique si l'on me recueille: je suis nu.
Trouvé, après, du crayon et du papier. Pas me demander comment ni pourquoi.
Resasse sans cesse ce qui s'est passé. N'ai pas tout compris. L'horizon barré par de baroques galères, toutes de noir ébène. Je pêchais, moi. Le vaisseau amiral m'est tombé dessus. On m'a fait monter à bord.
Une voix aigre:

-Palotin! Qu'on soumette ce rustre à une interrogation musclée! Je veuye savoyr si Brouquelande et Ploufetie sont à portée, ah ouais!

Et, bien sûr, je n'ai rien dit, moi qui ne connais rien de ces contrées.
Pendant ce temps, les bougres écrabouillaient ma barque à voile.

-Ne sayt-il rien des molosses aux écarlates babines?

J'ai bien bredouillé trois mots sur Cerbère -histoire colportée par un gamin qui est allé à l'école. Me suis fait taper sur les doigts.

-A la trappe, le gueux des mers!
-Sire sérénissime, il n'y a point de trappe au bateau.
-Qu'on le pende au grand mât d'artimon!
-Sire extrêmissime, n'y en a point plus.
-Bourriques de ma merdre! Décervelez! Tudez!

Embarrassés, les sagouins m'allaient jeter à l'eau quand leur potentat dodu se ravisa.

-Cornegidouille! Notre estomac nous chatouille au point sensible, celui-là même qui perdit l'intrépide Achille. Qu'on me serve de ce maraud le foie!
-Sire, ô époustouflante sommité! a crié un certain bedonnant du nom de Bordure, au langage limite. Y a qu'à -nom d'un chien!- garder ce bout de viande pour l'offrir en pâture aux molosses, croyez-tu point?

Bon. Pas demandé mon reste. Couru sauter à l'eau. Plouf! Demeuré sous la surface pour faire croire à la noyade. Failli suffoquer. Remonté à l'air, ai vu les vaisseaux du grotesque qui filaient. Près de moi, ma barque. Plus de voile, mais ça tenait l'eau.
Ma foi, attendu qu'un secours arrive. Tout le jour. Rien. Et rien à manger. Ni à boire, sinon mes larmes, pour les recycler.
Là-dessus la nuit tombe. Grand froid. Brrr! Sais même plus ni latitude ni longitude.
Le courant est fort dans ce coin là. Les constellations? Disparues sous les nuages. Funestes comme le mauvais sort.

Des visions? Je vois un gars marcher sur l'eau! Un piéton de la mer! Non, attends, j'ai la berlue ou je rêve?

-Mon frère, me dit la vision, t'as pas cent balles? C'est afin de les arrimer à ma barque que l'océan s'apprête à engloutir, suite à une collision avec le Léviathan. Ainsi flottera le vaisseau du Saigneur mon Père, en route vers la lointaine Ploufetie.
-Et le Brouquelande, ajouta une voix niaise.
-Je sais, Judas.

Un rafiot venait de rejoindre le pélerin thaumaturge.

-Encore cette histoire de molosses! j'ai lâché. Pouvez pas me foutre la paix?

Direct du droit en pleine poire.

-La voilà, la paix! Qu'elle soit avec toi! a dit l'envoyeur.

Le nez en sang, je me suis excusé.

-Mon frère, a pleurniché le randonneur maritime. C'est le Ciel qui t'envoie.

Il a levé les deux mains:

-O Père! Merci! Je vais ramener ce gentil au giron de tes... Ouaille!

J'y peux tout de même rien, moi, s'il a marché sur une aiguille à raccommoder les filets de pêche, le gus!

-T'as le chic pour les stigmates! a ricané l'autre.
-Tais-toi, Judas. N'enfonce pas le clou! Donc, nous disions qu'on allait te ramener dans le bon chemin.

J'ai dit: quoi, comment? quelque chose comme ça.

-Par le fer et le gourdin, mon frère, que nous avons bénits.

Je ne sais plus, après. J'ai reçu une grêle de coups. Ai cru les apitoyer en hurlant que je n'étais qu'un pauvre pêcheur: ils sont devenus tout rouges et les coups ont redoublé d'intensité.
Me suis réveillé à moitié mort, sur un rondin.

Voilà. Le canevas est plus clair, après ce petit récapitulatif en forme de capitulation. Accroché à mon rudiment de radeau, c'est bien le diable si...

33 juinet.

Bonheur! Terre en vue!
Ai interrompu mon journal. Feuilles humides et crayon cassé. Un autre passait par là et... Ah pis on s'en fout!
Marre de patauger dans l'immense mare aux canards. Ben oui, des canards: on est tout près d'une terre. Bonheur! Bonheur!
J'ai tellement dérivé, je sais même plus si c'est encore la mer.
Là, la côte. L'eau calme, étrangement calme. Noire. Des nénuphars? Un lac?
J'ai dû dormir longtemps, longtemps! N'en puis plus!
Y a des gens, là-bas. L'air très digne. Avec de gros malabars de chiens. (Tiens...)
Et là, on dirait une potence?
Y en a qui dansent. Ils chantent. Distinctement.

-Un Brouquelandais! Bouh qu'il est laid!

Une fête? Ils viennent vers moi, en pirogue. Délivrance! Enfin!
Mais là-bas, qu'est-ce qu'ils font à s'affairer à leur potence?

-Plouf-t'y? Plouf-t'y? qui me crient.

Je sais: ils demandent si j'ai fait "plouf", c'est-à-dire naufrage. Gentils sauvages. Je vais leur répondre oui.
André Carruzzo (Dreas)
Identificateur : Dreas

Inscrit: 1-2005
Envoyé vendredi 18 février 2005 - 15h47:   

Ah ! Quelle verve de pataphysicien ! Je me doutais bien que révéler l’existence de ces 2 tribus allait réveiller le désir de voyager, de s’aventurer. Plein de péripéties ton périple ! odysséen ! Et si tu te déguisais en Broecklandais ou en Ploufte ? Tu pourrais observer mœurs et coutumes de plus près. Pour leur parler, pas de soucis. Leur langue maternelle est le français.

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