Noninscrit (Noninscrit)
Identificateur : Noninscrit
Inscrit: 4-2008
| | Envoyé jeudi 05 juin 2008 - 0h13: | |
La société des masques c’est le monde entier et lorsqu’elle s’ébranle sur la place publique, elle danse la marche du monde, elle danse le système du monde… Dieu d’eau. Je mets le chèque dans l’enveloppe, j’écris l’adresse. Au bout de la cuisine qui est très sombre encore à cette heure, s’ouvre la grand rue avec son marché hebdomadaire. Il me tend le sac de pommes en bougonnant que c’est plus la saison. Moi je le regarde vaguement ahurie… quelle saison ?
Je prends le sac et commence à descendre la rue en évitant les épluchures de légumes. Zut, je n’ai pas les mêmes chaussures à chaque pied! Ah ! la barbe. Pas le temps de remonter. Franchement ça ne se voit pas beaucoup finalement, elles sont noires, une boucle d’un côté, pas de l’autre… si j’arrive à compenser l’inconfort des talons qui ne sont pas tout à fait à la même hauteur… Qu’est-ce que je vais inventer maintenant : demander au kiosque en achetant le journal des chewingum pour l’Europe et à la poste un timbre tutti frutti ? Pfff. Agacée, je fais un stop au bankomat à côté d’un seau de pivoine. Il faut presque s’excuser pour passer. J'ai une admiration crispée pour ces gros pompons avec leur odeur de vin. Quand je peux, je leur verse de l'eau sur la tête, ça les dégrise et leur fait faire la révérence.
Vue d’en bas, la rue, est taillée entre les maisons hautes comme un canyon de rif qui me fait remonter la pente. Tout à l’heure en commençant à faire bouillir l’eau, je m’évade un moment par cette rue vers la grande ville grise avec sa lumière contradictoire pour une ville du sud. Cette ville que j’ai parcourue tant de fois jusqu’à ses quartiers commerçants plus bas à l’ouest, pavées de blocs carrés d’immeubles bas et élégants et puis encore plus loin, jusqu’aux jardins de l’observatoire et leur chicanes de haies dures bien taillées, en pente raide au dessus du palais de la république qui surplombe comme un falaise son dernier trait avant le lac.
Pendant que je prépare la petite théière ternie, je sens une demande muette à laquelle je réponds aussi mentalement les yeux baissés sur le couvercle sans reflets. Oui nous allons partir, oui je vais vous faire visiter cet endroit un peu extraordinaire, cette cave à laquelle on accède par le petit pavillon, là bas au bout du jardin, là ou les enfants jouent encore malgré les premières gouttes de pluie. Nous revenons au salon et je suis allée prendre dans le tiroir de la commode un petit sac de soie à quatre sous de fabrication indienne et, comme un prémisse à la visite, lui montre la bague, cet anneau d’argent épais dans lequel est incrusté un bout de corail rustique d’un rouge sombre et vif. J’ai tellement peur de décevoir avec ces trésors qui n’en sont pas que j’éclipse le bijou rapidement. Mais il n’a pas l’air déçu, comme s’il ne s’attendait pas à mieux même d’une chose dont parle tant. J’essaie de saisir ma fille au passage, (est-elle indifférente celle-là de me laisser dans cette situation), mais elle court s’amuser là-bas au bout du jardin avec les enfants et comme s’il suivait ma pensée, il incite sa nièce à les rejoindre. Pendant que debout sur la terrasse, il la regarde s’éloigner, moi, dans la même direction, je vois l’horizon très clair barré d’une trace épaisse de nuages sombres, puis mes yeux reviennent vers l’avant, balayant le trait de crayon du quai, la palissade bouleversée du jardin, le sable qui fait office de pelouse, près du pavillon, où jouent les enfants, puis remontent le chemin mal tracé, sinueux, incertain dans ces herbes indésirables secouées par le vent, comme si soudain, dans cette sorte de désordre mal délimité, s’ouvrait largement, comme apporté par le souffle, un ordre plus vaste, estompé de gris transversal, depuis l’horizon éclatant jusqu’à la terrasse où nous nous tenons. |