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Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé mercredi 12 janvier 2005 - 16h31:   

"C'est fini, elle est partie! cria l'homme de la hune.
-Tout est perdu fors l'honneur, dit le roi, royalement.
-Dépassons cette contingence, ce n'est qu'un affect, dit le philosophe.
-Taisez-vous et marchez droit, bande de bavards! cria l'agent.
-Remarquez, dit le dramaturge, si l'on tient jusqu'à ce soir, ce sera beau.
-Voici le peintre! cria l'homme de la hune.
-Evidemment, voici le peintre" dit le roi, royalement.

L'artiste posa son lourd chevalet de chêne sur lequel il plaça une toile presque vierge et, prenant du recul, contempla son esquisse: le crépuscule sur la grève.

"Quel beau sujet! clama le poète.
-Faites donc silence: vous troublez notre méditation!" fit gravement le philosophe.

Sur la toile, il n'y avait encore que des traces ébauchant la descente future de la chape de nuages sombres, quelques rayons noirs jetés furtivement à coups de fusain.

"Il n'est pas près de finir son tableau, dit le roi, royalement. Car, à notre montre, il n'est que midi.
-Il va donc réfléchir, là, plongé dans la sublimation, dit le philosophe.
-Oh la barbe! fit l'agent excédé. Ca va durer longtemps, cette comédie?
-C'est une tragédie! s'exclama le dramaturge indigné.
-Il faut en finir! affirma l'agent.
-Tout ce que nous disons là est d'une banalité sans borne! soupira le poète.
-Tenez-vous donc tranquilles, enfin, messieurs, dit le roi, royalement. Voyez: les nuages se décomposent déjà, à ce qu'il semble.
-Nuages en décomposition, droit devant!" hurla l'homme de la hune.

Alors le peintre s'émut. Il versa quelques larmes silencieuses à la vue du soleil rouge symbole du destin, qui descendait mourir derrière l'horizon. A présent, le ciel changeait de couleur, passant progressivement, affreusement vite, du rose au mauve puis au noir brillant; il virait au mat, laissant s'éteindre et disparaître l'ultime flaque d'azur parsemée d'étoiles glacées. Il en versa une pour l'homme de la hune, qui ne voyait plus rien; une autre pour le poète; une pour le philosophe dont la silhouette se perdait dans la brume du soir; une autre pour le roi déjà absorbé par la désolante splendeur du silence nocturne. Le dramaturge ne parlerait plus. L'agent s'était enfui.
Puis le peintre se saisit de sa palette et se mit à poser les dernières touches, les extrêmes lueurs fauves du couchant.

A minuit, les passants qui s'attardaient sur la grève découvrirent son cadavre, figé telle une statue de sel, devant un tableau représentant le soir qui tombe.
M-C Escalier (Mariechristine)
Identificateur : Mariechristine

Inscrit: 12-2003
Envoyé jeudi 13 janvier 2005 - 12h00:   

Belle parabole, et drôle bien que triste !
Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé jeudi 13 janvier 2005 - 13h22:   

Merci.
J'ai écrit cela en 1986 (jeunesse, où es-tu?!).
Comme j'y parlais de peinture, j'ai trouvé que l'occasion était toute trouvée de proposer ce texte à la lecture.
Quant à mêler le tragique et le comique: j'adore!
Il faut dire que la vie est une bonne école...

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