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Philippe NOLLET
Envoyé mardi 05 octobre 2004 - 14h57:   

Il y a entre Prince et nous un jalon si délicat que nous craignons toujours de le briser par une quelconque étourderie. Il y a tellement de choses dont nous devons tenir compte. Il est bon, nous dit-on dès la naissance, d'avoir certaines certitudes. Or Prince nous bluffe. On se croit installé sur des bases fermes et solides, mais lorsqu'on écoute Prince, la grâce nous prend au dépourvu, en un millième de seconde, ce que les bouddhistes appellent le Dharma. Son nom même s'imposait, dans la lignée souveraine de son expression musicale. Présence de Prince. Récurrence de Prince. Ce noeud intense qui nous permet de mieux le comprendre.

Il a construit un temple autrefois, mi-bunker mi-bathyscaphe explorant les grands fonds musicaux, à Minneapolis, dans son fief sacré. Loin de la ville et de ses houles brutales. Paisley Park. il n'en finira jamais d'utiliser des subterfuges. Il cadenasse son blockhaus, s'y enferme vingt-quatre heures sur vingt-quatre et attend que la musique surgisse, sous la chair, dans le pouls, comme une sorte de gigantesque surprise prévisible... Une vague de plaisir qui s'échappe et le fait basculer... Il passe des nuits blanches dans son studio, sur des projets d'harmonie dont il ne sait rien encore et qu'il lui faudra bien concevoir un jour... Enlisé dans sa nuit, comme dans les racines embryonnaires de sa musique.

Cette musique qui joint la fluidité aux dissonances. Faisceau de lumières et profondeur noire insondable, souvent intense, parfois salmigondis rocambolesque, mais exigeante. Cette recherche obstinée de la perfection. Avec un incessant cabotinage de surface, un maniérisme dans la façon de marier les ingrédients, de faire monter la sauce. La quête impossible de la fusion absolue. Une démence muette monomaniaque. Imaginez un assemblage d'alambics extravagants et de rouages mécaniques diffusant sons, harmonies, mélodies. Ce lent cheminement de l'oeuvre se construisant sous nos yeux, disque après disque, cherchant le Graal. La profusion côtoie chez Prince la concision suprême dans une mêlée inextricable, parfois incompréhensible, embrouillamini d'intentions. Ce mélange d'obstination caractérielle et de joyeux amas hétéroclites, c'est l'expression même de la vie et de la poésie. L'incroyable motif de la vie multiple, de la poésie se déversant dans le tumulte.

Guitare. Sa main gauche est au comble de la lascivité. La droite quant à elle n'improvise que très rarement son travail de sape. Il a en lui quelque chose de plus fort que lui-même. Chaque solo de Prince démarre comme jaillit une flèche offensive, ensuite ça vous transperce gravement et vous vous sentez d'un coup libre de tous vos mouvements. Il y a soudain quelque chose de très vulnérable et de très tendre en vous. Comme un retour d'enfance. Un abandon physique de votre âme.

C'est aussi un pianiste inspiré. Il associe le brio technique, ce qu'on nomme un peu trop complaisamment la "virtuosité", et la rigueur harmonique, l'extrême rigueur harmonique de son phrasé unique, similaire à celui d'un jazzman (Bud Powell ?). Bien sûr, Prince puise chez plein d'autres tout un patchwork d'idées, de perspectives, pour se constituer une patte personnelle, une identité bien à lui. Mais l'éclectisme, le don d'ubiquité de Prince ne sont pas seulement des expériences de vampirisation d'influences : c'est le résultat scrupuleusement fidèle d'une grande connaissance de la musique populaire américaine. De même la technique instrumentale de Prince au piano n'est pas à proprement parler l'épine dorsale et rythmique de telle ou telle chanson. Elle en est plutôt la nourriture de base, le milieu naturel et le cocon.

Prince rêvait de découvrir de nouvelles notes, bleues ou non, d'explorer de nouveaux sons. En même temps, il avait un pied dans les charts. Et ça suffit à expliquer sa musique : offerte à l'expérimentation et en même temps sensible aux attraits immédiats de la reconnaissance. L'éternel antagonisme "Parade" contre "Purple rain". Le syndrome princier, de toute évidence. Priez pour Lui.

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