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Tm (Tm)
Identificateur : Tm

Inscrit: 1-2005
Envoyé jeudi 24 mars 2005 - 14h45:   

Son dîner absorbé, le professeur Schmoutz regagne à pas menus son domicile, 42bis, rue des Glands, près de la Faculté de Lutte gréco-romaine.
Il s'installe confortablement dans un fauteuil douillet, parcourt distraitement une gazette du soir et s'endort doucement, le visage empreint d'une sereine béatitude, reflétant la paix et la pureté de son âme d'enfant.
Une heure passe... puis deux... une horloge, toute proche, égrène les premiers coups de minuit...
...Et soudain...
...Le professeur Schmoutz se dresse... Mais quoi? ce n'est plus le calme et charmant professeur Schmoutz... Ses yeux se sont révulsés, sa bouche se tord en un effrayant rictus, la bave lui coule des lèvres... une sorte de râle inhumain, bestial, sort de sa poitrine et des sons rauques s'étranglent dans sa gorge!...
-aaaaaah! aaaaaah! Il le faut! Il le faut!
...Et le professeur Schmoutz, les mains agitées par un tremblement convulsif, saisit une trousse dissimulée dans un coin du chauffage central et, à pas de loup, gagne la rue...
...Un coup d'oeil à droite... un coup d'oeil à gauche... et il prend sa course dans la nuit brumeuse et glaciale.
Il va... il va... droit devant lui, sans jamais s'arrêter, comme poussé par une terrible force occulte... Comme il court... Ah! comme il court, le professeur Schmoutz... A bout de souffle, il arrive enfin dans qulque lointaine banlieue... Il s'arrête...
L'endroit est sinistre...
Un canal est là, tout proche, qu'enjambe un pont de chemin de fer...
Soudain, là-bas, l'éclair d'une lame illumine l'horizon, suivi d'un cri déchirant...
Sans doute quelqu'un qu'on égorge...
La sueur inonde le visage du professeur et coule dans le canal dont le niveau se met à monter... Sa respiration est courte, sifflante, entrecoupée de hoquets... Son pouls bat à 430 pulsations... Il se débat contre la puissance maléfique qui le domine, mais, épuisé, à bout de forces, il cède enfin.
Alors, il sort de sa trousse un rasoir fraîchement aiguisé et il se met à raser les murs...
...Il les rase fébrilement, de haut en bas... puis de bas en haut en prenant soin de ne pas érafler les angles... puis il revient sur ses pas et passe une lotion astringente pour éteindre le feu du rasoir...; il rase ainsi des dizaines et des centaines, des milliers de murs!
A l'aube, il rentre chez lui, se dévêt, se couche et s'endort d'un sommeil de cuivre.

Et, quelques heures plus tard, sa concierge, qui s'occupe de son ménage, le trouvera calme, détendu, souriant, avec son doux visage d'orientaliste distingué que rien ne semble avoir jamais troublé.
(...)
Et le professeur Spartacus-Siegfried Schmoutz, totalement ignorant du personnage de cauchemar qu'il a été cette nuit, reprend comme à l'accoutumée, son cours à la Sorbonne:
-Mes bons amis, je vous ai parlé hier de l'Art Khmer. Je vais, aujourd'hui, vous parler de l'Art Khroumir. Les Khroumirs, mes jeunes amis, ont été de tous temps, des créateurs éminents, des chercheurs acharnés, ainsi que des artistes raffinés; on leur doit notamment, outre des factures demeurées regrettablement impayées, des palais, des vespasiennes, des guérites et toutes sortes de...
Quel psychiatre, quel psychanalyste, quel vivisecteur de l'âme humaine expliquera cet étrange cas de dédoublement de la personnalité?

Pierre Dac, "Du côté d'ailleurs." (Julliard, 1966)

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