Voyager, c’est guérir son âme Log Out | Thèmes | Recherche
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André Carruzzo (Dreas)
Identificateur : Dreas

Inscrit: 1-2005
Envoyé vendredi 10 juin 2005 - 15h11:   

J’arrive dans cette ville de X. Mêlé à ses habitants je « découvre » la belle place St-X. Mais eux ne la découvrent pas. Nous nous adonnons au même lieu, à la même chose, au même spectacle - car, même si pour eux, qui ne la regardent pas en se hâtant, ça n'est pas un spectacle, néanmoins, à tout instant, ils peuvent la considérer, et se la redonner en spectacle. Pourtant, c'est ce spectacle qui n'est pas le même pour eux et pour moi, bien que la chose dont il s'agit soit une seule et même. Nous ne la voyons pas mêmement. Voyageur, je peux m'étonner qu'elle soit belle; je la découvre comme telle. Il y a deux regards; et c'est le second qui est « mystique » : c'est pour ça qu'on voyage. Deux regards pour un même phénomène. Celui qui est d'ici depuis toujours ne voit pas sa ville du regard inventif voyant du voyageur intéressé par ce qui n'intéresse pas l'autre. Est-ce la même ville ? Mais l'habitant a besoin de comprendre ce que voit le survenant, dont c'est la première visite. Le poète est l'étranger.
Un ami incroyant me raconte qu'un jour récent, entrant dans une église de campagne, il s'assied, considère; le silence l'entoure; le monde se rapproche ; il est comme introduit en son dedans. Le temps passe; il demeure des heures « sans s'en apercevoir ». Les Grecs auraient usé, pour le dire, du verbe lanthanesthaï: il plonge au Lêthé. Cette expérience mystique ressemble à celles qui sont rapportées par Hofmannsthal ou Wittgenstein -et tant d'autres. Elle est attestée. Et tout en étant communicable en ce sens qu'elle est
communiquée et comprise, elle ne peut franchir l'intimité idiosyncrasique qu'elle cherche à retracer: d'intensité expériencielle non expérimentale, à valeur strictement sui référentielle, d'où il ne peut rien résulter. Vraie d'une vérité qui se donne comme très forte, et sans force pour tous.

(Les mots soulignés sont en italique dans le texte)
Michel Deguy : La raison poétique
2000, ÉDITIONS GALILÉE
aux pages 41, 42

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