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Philippe NOLLET
Envoyé mardi 27 juillet 2004 - 13h30:   

Fin Décembre.

Certaines femmes ont disparu de mon champ de vision. Certains livres ont changé ma perception du monde. Certaines âmes innocentes ont souffert par ma faute. Je n'ai pas vraiment à m'enorgueillir de ce bilan. Et mes tournures de phrase ne sont que de la littérature en suspens.

Il est deux heures du matin et je lis mes poèmes dans une boîte de nuit transformée en étuve. Je ne sais pas où tout ça m'entraîne. Je ne sais même pas ce que signifient vraiment mes poèmes, dans un tel contexte. Je me souviens juste avoir d'abord voulu les écrire en me fiant à une certaine lumière. Je me relâche. Je sais. Je pourrais faire mieux.

J'ai grandi comme un enfant autiste, cloîtré entre quatre murs, essayant d'éviter les corrections musclées du père. Mais lire et écrire ne vous délivre de rien, j'en suis la preuve vivante. On m'a très souvent dit ceci : "tu n'aimes personne, et tu ne t'aimes pas". A chaque fois je prenais l'air étonné d'usage, mais je voyais très bien où les gens voulaient en venir. Simplement, j'avais du mal à croire que ces gens, qui objectivement ne s'intéressaient qu'à eux-mêmes, arrivaient à comprendre cela, à le voir en moi.

Ma prestation, ce soir, me vaut 75 euros. Ni plus, ni moins, a décrété le boss. La nuit est là depuis un bon moment et je m'interroge. Je me demande ce qu'il faudrait pour que tout ce qui m'entoure ne cesse plus de s'enfuir instantanément, ce qu'il faudrait pour retenir une certaine... permanence. Je suppose que je suis fin saoul. Ou déprimé. Ou bien les deux. Nos vies tiennent en très peu de choses, finalement : une femme, un ou des enfants, un métier ou non, des illusions, quelques regrets entrecoupés de courts emballements d'allégresse injustifiée, une vague recherche spirituelle à l'âge de quarante ans, et la mort, à terme, souvent comme un soulagement. Je ne suis pas particulièrement pessimiste, mais le fait que rien ne change réellement jamais en ce bas monde me laisse pantois. Et savons-nous vraiment, chacun, ce qui est bon pour nous ?

Je quitte la boîte de nuit à l'heure où tout le monde dort encore. Des vents contraires se déchaînent dans le ciel gris-noir. J'entends la violence des eaux et leur âpreté gagner le bord. Je fume une cigarette sur la jetée. Nous sommes dans une petite station balnéaire où des vieillards se refont une jeunesse à prix d'or. Au fond, l'endroit est parfaitement adapté à ce que je ressens.

J'ai mes 75 euros brûlants dans ma poche. Je parcours la digue. Regarder la mer m'aide à penser à Dieu. Nous nous fréquentons beaucoup, lui et moi, en ce moment. Qu'Il existe est pour moi, qui pourtant doute à tout propos, un fait établi. Mais nous a-t-Il laissés tomber définitivement, ou nous garde-t-Il encore un reste de clémence, une sorte d'attention lointaine et bienveillante ?

Au nord de la ville, on dirait que le noir prépare un mauvais coup. Quatre heures du matin. Les rares ombres qui se faufilent dans la grisaille sont soudain plus ténébreuses, se noient dans la brume. Je trouve un kiosque où abriter ma carcasse fatiguée. Je reste sur mes gardes, comme toujours, dans cette espèce de calme menaçant où couve la tourmente. On pourrait ajouter à cela que l'aurore, même grise et nébuleuse, est toujours plus belle en hiver.

J'achève un vrai bilan introspectif. Au cours des années, il y a la frustration, la déveine, la perte de la foi (à tous points de vue). Et pendant ce temps, vous ne faites même plus attention à vous-mêmes - à part la dérisoire hygiène élémentaire qui vous fait gémir dans vos lits en singeant l'extase. Sommes-nous bien certains de vivre, nous qui resplendissons de couleurs inutiles s'effaçant avec le temps ? Nous sommes devenus économes, cartésiens comme des figures géométriques ou abstraites, plus solitaires dans la foule que jamais. Et nous tombons dans l'immobilité, creusant lentement, très lentement, nos tombes alignées...






Une femme m'a téléphoné hier soir. Je ne me souvenais plus de sa voix. De ses yeux encore moins. Elle m'a parlé d'années anciennes, comme suspendues par le temps. Des années qu'elle regrette, au souvenir insoutenable, selon elle. L'ai-je vraiment bien connue ? Je dois bien avouer quelque chose : je ne me rappelle de rien.

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