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Philippe Nollet
Envoyé jeudi 22 juillet 2004 - 15h20:   

Il ne reste qu'un poisson seul dans un bocal et quelques meubles. Les oliviers noueux se penchent ostensiblement. Je me souviens des regards, des corps, des voix, abîmés par les années qui ne reviendront pas de toute façon. Je bois de la vodka en visionnant un film porno. J'ai passé quarante ans depuis deux semaines. Je m'accroche à mes poèmes empilés dans une boîte en carton comme à quelque chose d'inexprimable qui illumine l'âme. Ces poèmes, c'est ma première fierté, et la dernière. Comme de se sentir enfin plus fort que son père.
Un jour je quitterai le cercle, incapable de suivre. Je ne m'aimerai plus du tout, du moins plus de la même façon. Je ferai semblant de fleurir encore le jardin. Je penserai même à brûler la maison. Je ne sais plus si je dois apprendre à "lâcher prise" ou me mettre à l'ecstasy. Composer ou disjoncter. Je ne fais plus la différence. Loué soit le Seigneur en sang.
Enfant, je n'avais jamais envie de rien ; ça agaçait énormément mes parents, surtout mon père. Je me suis donné beaucoup de mal pour me fabriquer un autre visage. "Il est timide - disaient-ils - ne faites pas attention à lui !". Ce matin, je regarde en moi-même, objectivement, sans trop de complaisance. Il y a des jours où il vaut mieux se réveiller seul dans son lit. Il y a des jours dressés contre l'injustice de la succession lente des semaines et des mois, des mois et des années. Et le flingue attend dans la table de nuit. Mieux vaudrait en rire ou en pleurer, cesser de jouer les héros en quête d'une gloire impuissante. Penser aux pas du cafard sur le papier peint. A l'odeur des chiottes du lycée de mes seize ans.
Ô voluptueuse nuit enfin sans barbelés : un temesta dans le fond du verre de whisky comme dans ces polars américains du début des années 70 - le comprimé et ma vie se dissolvant dans un bel ensemble... Jamais je n'ai eu que des aspirations sans lendemain. Pas d'ambition, une flagrante incapacité à vivre - je me suis pourtant enfui avec de grandes résolutions. Mais je n'ai trouvé que des âmes comme les autres, moi qui ne sais même pas qui je suis. En ce moment même, des milliers et des milliers de cerveaux se voient en génies, dans leurs rêves, et l'histoire n'en retiendra - qui sait ? - pas même un seul, et il ne restera que de la tourbe molle pour toutes ces gloires futures et ces conquêtes à venir. Le monde n'est pas à celui qui rêve qu'il peut le conquérir. Même s'il a effectivement raison.
Cinquante choses à la fois. Je ne vous ferai pas le coup des conclusions, la seule conclusion c'est de mourir. Je suis un peu cinglé mais j'ai bien le droit de l'être. Je ne suis rien. Je ne suis pas même le contraire de quelque chose. Je veux être seul. Rien ne m'attache à rien. Et je veux cinquante choses à la fois...
Coup de téléphone de mon ex-femme. Conversation interminable. Choisir entre souffrir encore et se tailler les veines. (La toute-puissance du téléphone et sa très grande impuissance à rapprocher les êtres.) Elle pourrait marquer une pause. Choisir de se taire, même. Mais non. Je préfère garder les yeux fermés, si elle le veut bien, pour écouter ses conneries. Pendant qu'elle me parle, la laissant un temps dans le doute, je prends un bouquin. Mais ce n'est pas par cruauté. Et William Faulkner n'y peut absolument rien.

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