Rienadire (Rienadire)
Identificateur : Rienadire
Inscrit: 2-2005
| Envoyé vendredi 13 mars 2009 - 21h11: | |
Il vient de garer sa voiture sur le parking de la gare de Perpignan. Il vient de couper son moteur. Soulagé. Tout compte fait cela a été facile, bien qu’il ne connaisse pas la ville et malgré tous ces sens interdits qui de plus en plus garnissent les centre villes comme si l’on s’ingéniait en haut lieu à mettre tous les obstacles possibles à la venue des touristes. Un coup d’œil sur sa montre, presque quatorze heures, il est donc en avance, puisque l’arrivée du train est prévue à quinze heures deux minutes s’il en croit le petit bout de papier qu’il vient de sortir de sa poche. Mentalement, il fait une petite grimace, deux heures au moins de parking, cela va lui coûter coton pensa t il, mais tant pis, il n’est pas en retard et c’est bien le principal . Ne pas être en retard, c’est son obsession, surtout aujourd’hui. Une obsession maladive qui lui coûte cher, d’autant plus que pour gagner du temps il est resté sur l’autoroute jusqu’au bout alors qu’il aurait pu la quitter avant qu’elle ne devienne payante. Enfin il est arrivé à destination, c’est bien l’essentiel. Il ne lui reste plus qu’à aller boire quelque chose dans un bar. Une petite bière par exemple, il en a assez des cafés, qui le rendent nerveux et ce n’est pas une bière qui l’empêchera de reprendre la route. Il repense, amusé, à sa petite annonce. J’ai soixante ans avait t il écrit, mais je ne les parais pas, tout au plus m’en donnerait t on cinquante neuf et demi. Cela avait du lui plaire, elle avait du trouver amusante cette boutade à deux euros, d’ailleurs elle appréciait l’humour et l’auto dérision, cela tombait bien pensât il, moi aussi. Sa bière pression est presque terminée et à peine un quart d’heure s’est écoulé, bon, il va falloir prendre son mal en patience. Peut être pourrait il faire quelques pas, aller vérifier l’heure à l’horloge de la gare, en profiter pour vérifier que la dite horloge contient effectivement le centre de l’univers. Qu’allait il lui dire ? Qu’il aimait Dali ? Parler de peinture n’est pas vraiment sa spécialité, alors lui parler de Dali n’est ce pas risqué ? Pour peu qu’elle soit tant soit peu connaisseuse dans ce domaine, elle aura vite fait de s’apercevoir qu’il est nul sur ce sujet. Oh tant pis, rester naturel, c’est là la règle d’or, et de toute façon pourquoi s’affoler alors qu’il ne sait même pas si elle va lui plaire. Pas de photo. Elle n’a pas mis sa photo sur internet. Bon, on verra bien. De toute façon l’origine de la petite angoisse qu’il ressent ne réside pas là, il ne s’agit pas de savoir si elle va lui plaire mais bien de connaître sa réaction quand elle le verra lui. Car au fond de lui même, il sait bien qu’il est déjà scotché. Cela fait presque trois mois qu’il tchatte avec Louve, ce pseudo qu’elle s’est choisie l’a tout de suite attiré. Et surtout la façon qu’elle a d’écrire, elle dont la langue maternelle n’est pourtant pas le français, et il donnerait cher pour avoir sa qualité d’écriture. Au début les échanges, quoique réguliers , furent espacés de silences d’à peu prés une semaines,, très vite cependant leurs fréquences augmenta et ils devinrent quotidiens. Quotidiens. Incontournables. Vitaux. Essentiels. Etrange comme le virtuel peut sembler plus réel encore que ce que l'on appelle la vraie vie. Ils parlaient de tout et de rien, souvent de choses insignifiantes mais qu’elle avait l’art de rendre incroyablement intéressantes et excitantes. Ils parlaient de tout, et de sexe aussi, et c’était à la fois très poétique et très cru. C’est elle qui la première avait introduit le sujet, lui, il n’aurait jamais osé. Elle le fit par un petit poème d’un érotisme brûlant dont il s’étonna qu’il n’ait pas mis le feu à son ordinateur. Le temps qui à son arrivée dans le bar s’écoulait si lentement, s’est ensuite accéléré, peut être grâce aux deux autres bières qu’il avait commandées et qui le mirent dans un état de légère et douce euphorie, peut être aussi cette fille y est elle pour quelque chose, dont il lui a semblé à plusieurs reprises qu’elle l’observait de ses yeux noirs et perçants, à tel point qu’il ressentit dans sa colonne vertébrale comme un délicieux courant électrique et qu’il faillit en oublier la fiancée du net qu’il était venu accueillir. Le temps donc a passé très vite et le voilà sur le quai, observant l’arrivée du train. Les passagers, peu nombreux, descendent. Mais comment la reconnaître ? C’est fou cette histoire, donner un rendez vous sans convenir d’un signe de reconnaissance ? Cette femme peut être, la quarantaine, et qui semble attendre quelqu’un, ce pourrait être elle. Il s’approche d’elle, esquisse péniblement un sourire, car elle n’a pas l’air très avenante et qu’il manque d’imagination pour la trouver sexy, et lui demande : Bonjour madame. Est ce que vous êtes Louve ? Pardon ? Je cherche une Louve ? Je vous prie de me laisser tranquille, Monsieur ! C’est tout juste si elle n’a pas appelé la police. Il ne sait s’il est soulagé que ce ne soit pas elle, ou en colère parce que le quai est maintenant vide et qu’elle lui a posé le lapin du siècle. Il se sent juste con. Mais pas vraiment étonné. Il avait bien pensé que ça allait mal se passer, il fallait rester dans le virtuel. Quelle conne cette Louve, elle a brisé son rêve. Mais il ne va pas passer le restant de sa vie sur ce quai, alors il se dirige vers le parking. Il est à peine quinze heures trente, il a largement le temps de regagner sa Lozère. Quitter cette ville de merde au plus vite et passer chez son copain Christian pour se saouler la gueule, voilà le programme. Une fille est à côté de sa voiture, qui observe la plaque minéralogique. Est elle en train de lui coller une prune ? Ce serait la totale pensa t il. Mais non il a bien payé son stationnement. 48 c’est la Lozère ? Ses yeux sont noirs, il reconnaît la fille du bar. Oui, 48, c’est bien la Lozère. Il y a des loups en Lozère ? Oui ! Moi même je suis Louve. Je peux venir ? Oui ! Il lui ouvre la porte. Elle va pour s’asseoir, semble se raviser, contourne la voiture et lui plaque un baiser tout chaud sur les lèvres. Son esprit chavire, et c’est alors que Perpignan, cette ville de merde, se métamorphose en centre du monde. |